« Dis papa, pourquoi Madame Goetzinger elle dessine plus Félina ? »

Quand mes filles étaient petites, je leur lisais des contes ou des BD chaque soir. Puis un jour mon aînée m'a posé cette question. Pendant des années elle m'a trotté dans la tête, puis lentement l'évidence s'est imposée : c'est moi qui devais écrire de nouveaux scénarios pour cette Dame ! Et voilà ce que ça a donné...


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Un vieil homme maigre à barbichette est assis à sa table de travail dans le cercle de lumière d'une suspension à gaz. Engoncé dans une robe de chambre matelassée coiffé d'un bonnet à gland, il écrit à la plume d'oie d'une main fébrile.
- Moi,
Hubert-Marie Patoufet de la Bouquelle et saint-Cilice, conscient de la confusion mentale dans laquelle mes contemporains sont plongés par les mensonges judéo-maçonniques, anticléricaux et antiroyalistes qui mènent notre grande nation à la dégénérescence, j'abandonne momentanément l'oeuvre de ma vie consacrée à la réhabilitation du très Saint Dujenou-Declerc et prends la plume afin de rétablir la vérité sur les agissement scandaleux d'une créature de Satan que la campagne d'intoxication des mécréants fait passer pour une justicière philanthrope. J'ai nommé...

Un éclair zèbre le ciel nocturne, éclairant les lettres qui s'étalent sur toute la largeur de la page :

FELINA


Paris, boulevard de Mazas, 25 mars 1878. La prison dresse sa sinistre silouhette sous l'orage.
- Yo le savais !...

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Dans l'infirmerie de la prison,
Carlos Roca enlace Hermine, qui se défend mollement
- Yo le savais que sous cette robe de boure se cachait le corps d'oune fâmme !

« Carlos Roca, dangereux anarchiste espagnol, fut abattu peu de temps après en tentant de s'évader »
Bras en croix sur le pavé de la cour,
Roca agonise aux pieds de ses geôliers en murmurant :
- Hermine !...

« Et celle qui dans le siècle s'était appelée Hermine Broutignol avant d'être sœur Camille du Sacré Cilice dut fuir pour cacher sa honte »
Un châle sur les épaules, Hermine s'enfuit sous les tourbillons de neige, courbée sous le poids de son ventre rond.

« Après avoir erré dans les environs du château de Broutignol, domaine familial... »
Serrant son bébé dans ses bras, Hermine gravit le perron du château. Caché derrière le tronc d'un arbre, le jardinier l'aperçoit.

Dans le salon, le marquis de Broutignol lit à sa femme catastrophée une lettre fraîchement reçue. Derrière la porte à petits carreaux, Hermine voit et entend tout sans oser entrer.
Le marquis : L'Administration m'informe qu'Hermine a renié ses vœux et s'est enfuie de l'infirmerie où elle exerçait son sacerdoce. Quelle honte ! Quel déshonneur pour notre famille ! Je la renie ! Nous n'avons plus de fille !
Hermine s'enfuit sans signaler sa présence, serrant contre son cœur son précieux fardeau.

Elle passe une médaille au cou de son bébé et le dépose dans le tour d'un hospice,

Puis se jette sous un train.


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A l'intérieur de l'hospice, la jeune et sympathique sœur tourière recueille le bébé. Elle examine la médaille de l'enfant qui porte les armoiries des Broutignol. Comme elle tourne le dos à la sèche et aigre Mère supérieure, celle-ci ne voit pas la médaille.
Mère sup : Encore un de ces rejetons du péché ? Quelle horreur ! Tous ces animalcules qui naissent souillés par la luxure et la débauche dégoûtante de leur mère.

Elle s'empare sans ménagements de l'enfant, la tenant éloignée d'elle comme un paquet répugnant. Ce faisant, elle ne voit pas la main de la sœur tourière se refermant sur la médaille.
Mère sup : Vite, il faut la baptiser tout de suite ! Si elle ne survit pas, au moins sauvons son âme.

Dans la chapelle froide et bleue de l'hospice, le curé verse l'eau sur le front de l'enfant que la sœur tourière tient au-dessus de la vasque baptismale. La mère supérieur écrit sur un registre :
« Recueillie ce jour une enfant abandonnée. L'avons baptisée Marie-Madeleine. L'avons confiée à la femme Jondret, nourrice notoire.

Soeur tourière, inquiète : La Jondret ? Mais ma Mère, il court d'inquiétantes rumeurs sur cette femme...
Mère sup, sèchement : Sottises ! Madame Jondret est un bonne chrétienne, qui a élevé de nombreux enfants abandonnés.
Elle remet l'enfant à une lourde paysanne aux traits antipathiques emmitouflée dans un grossier châle de laine.

Et la femme emporte le bébé dans la nuit tandis que, sur le seuil, la sœur tourière ne cache pas son inquiétude.


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Un petit village agricole aux maisons serrées les unes contre les autres le long de la rue principale.

Eponine Jondret entre dans la masure qu'elle habite avec son mari. Maigre comme une fouine, moustache hérissée, béret crasseux vissé sur la tête, ceinture de flanelle serrans sa chemise autour des reins, il paraît chétif à côté de la matrone. Accoudé à la table massive encombrée de victuailles, il vide une bouteille de vin par petites gorgées d'un verre douteux. La pièce n'est éclairée que par l'âtre où pend une marmite. Saucissons, épis de maïs, chapelets d'ail et d'oignons pendent aux poutres noircies par la fumée.
Jondret : Encore un crevard des religieuses ?
Eponine : Plaisante, mais tu es bien aise de boire la pension qu'il nous rapporte. Et même s'il crève tout de suite, la pension du mois reste acquise. Et le trousseau aussi. Comme les précédents.
Jondret : Trousseau que je vendrai dès dimanche au marché ! Ça nous fera toujours quelques sous.

Eponine sort dans la basse-cour, derrière la maison. Là, parmi les volailles qui picorent, Louis, un gamin de 6 ou 7 ans, coupe du bois sur un billot avec une hachette. Amaigri par les privations, pieds nus, il est vêtu de mauvaises guenilles qui ne le protègent guère du froid. Eponine lui tend Marie comme un paquet.
Eponine : Louis, occupe-toi de ce rat ! J'veux pas en entendre parler. Hé le bâtard, j'te cause !

Louis considère Marie tristement : Toi aussi, ils t'ont adoptée ? Encore une morte en sursis...

Marie lui adresse un grand sourire et gazouille, ses yeux pétillants. Louis est comme frappé par la foudre. Son cœur fond devant tant d'innocence. Débordant de tendresse, il la serre dans ses bras.
Louis : Que tu es mignonne ! N'aie pas peur petite sœur, je te protègerai contre tous ces méchants grigous !...


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Louis apporte Marie dans l'appentis qui sert de poulailler et d'étable. Une chèvre au pis gonflé le regarde entrer.
Louis : biquette, je t'amène une nouvelle pensionnaire. Celle-ci, ne la laisse pas mourir, elle est trop gentille !

Il maintient Marie en bonne position et le bébé tète comme un chevreau.
Louis s'adresse à la chienne : Bergère, protège-la quand je ne suis pas là ! Je ne veux pas qu'ils lui fassent un sale coup.

La chienne lèche le visage de Marie, qui gazouille de plaisir.

Eponine surgit sur le seuil : Hé fainéant, viens m'aider ! La lessive n'attend pas.

Ils prennent le chemin du lavoir. Louis pousse la brouette chargée de linge sale sur laquelle il a installé Marie dans un panier.


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Eponine, Louis et leur brouette arrivent au lavoir communal. Les commères interpellent Eponine.
1ère lavandière : Ho Eponine, tu as encore adopté une ''bastardette'' ?
Eponine : M'en parlez pas ! C'est par pure charité chrétienne. Une bouche de plus à nourrir.

2ème lavandière : Mais tu es bien aise de toucher sa pension chaque mois, comme pour Louis, non ?
Eponine : Une misère ! Ça ne rembourse même pas ce que je dépense pour eux.

Pendant que les lavandières (et leurs langues) s'affairent, Louis cueille des fleurs et les suspend à l'anse du panier de Marie qui gazouille en essayant de les attrapper.

Des petits oiseaux se perchent sur l'anse et ''dialoguent'' avec le bébé.

Retour. Louis ahane en poussant la brouette. Le linge mouillé est de plomb.

Quelques heures plus tard, Eponine termine le repassage. Le linge immaculé est plié en piles bien carrées. D'énormes fers à repasser trônent contre l'âtre. Eponine s'éponge le front et tend la main vers une bouteille de vin.
Eponine : Ouf ! Je suis brisée. Va livrer le linge, Bastardou ! Et gare à tes os si tu salis un seul mouchoir !

Sur le seuil d'une demeure cossue, Louis remet un paquet de linge à une servante. Marie et son panier trônent toujours sur la brouette.
La servante : Oh le migno bébé !
Louis, fier comme Artaban : C'est ma petite sœur !


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Les années passent. Louis bêche le potager,

Nourrit les animaux de la basse-cour,

Balaie la maison,

Pousse la brouette de linge,

Fait manger sa bouillie à Marie,

Change ses langes avec un air dégoûté,

Fait la grimace en regardant le fond de son assiette, au repas du soir,

Monte au fenil par l'échelle,

Et dort dans le foin, lové contre Marie, une couverture râpeuse jetée sur les enfants.


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Le repas du soir. Tous sont réunis autour de la table.
Jondret, à Louis : Demain, ils commencent la fenaison à la ferme des Escloupié. Ils ont besoin de bras et il y a quelques sous à gagner. Tu iras, Bastardou ! Tu es un gaillard solide à présent, avec la bonne soupe qu'on te donne.
Eponine : Il est temps que tu rembourses tout ce qu'on a dépensé pour toi.

Louis : Mais ? Je ne peux pas laisser Marie toute seule...
Eponine : C'est ton problème.

Le lendemain à l'aube, Louis, trimballant toujours Marie dans son panier, se présente au ''Mestre'' de la fenaison. Celui-ci se gratte la nuque de perplexité en considérant le moineau qui se tient devant lui.
Le Mestre : Ah ? Jondret m'avait dit... Mais tu es bien jeune pour faire ce travail, Louis. Enfin... tu lieras les gerbes avec les femmes. Et ta petite sœur là, faut pas qu'elle gêne le travail.
Louis : N'ayez pas peur M'sieu, elle est sage comme une image.

Sous un soleil de plomb, le Mestre et ses hommes avancent en ligne dans le champ, couchant les épis à grands coups de faux. Derrière eux, Louis et les femmes, courbés en deux, ramassent inlassablement les gerbes, les lient et les entassent sur le côté. Au bout du champ, à l'orée d'un bois, on aperçoit les paniers de provisions des travailleurs déposés à l'ombre des premiers arbres.

Le Mestre : Han ! L'autre nuit, un renard m'a égorgé deux chapons. Han !...
Une femme : Sale bête ! Ça vous saigne tout ce qui est sans défense.

A l'orée du bois, parmi les paniers de provisions, il y a celui où dort Marie. Un renard sort des fourrés et s'approche silencieusement de cette proie sans défense...


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Soudain,on entend Marie babiller : Biii ! Biii !...
Louis : Marie ? A qui gazouille-t-elle ainsi ?...

Il se précipite et découvre un spectacle incroyable : à l'orée du bois, le panier de Marie est renversé et celle-ci, vautrée contre la renarde couchée sur le dos, joue avec la fourrure de l'animal ravi.

L'arrivée de Louis rompt le charme. La renarde se sauve comme un éclair tandis que Louis serre Marie dans ses bras. Il la regarde d'un air stupéfait :
Louis : Tu es extraordinaire, petite sœur. Si je raconte ça, personne ne me croira.

Le soir, Louis rentre harassé par sa journée de labeur. Attablés devant une bouteille, les Jondret l'invectivent en contemplant son maigre salaire.
Eponine : Quoi ? C'est tout ce que tu rapportes ?
Louis : Le Mestre m'a dit que j'étais pas assez grand pour faire faucheur.
Jondret se lève en défaisant sa ceinture : Pas assez ? Avec tout ce que tu nous mange ?...

Jondret fouette Louis à coups de ceinture. L'enfant courbe le dos, se recroqueville, essaie de parer les coups.
Jondret : Fainéant ! T'apprendrai, moi !
Eponine, remplissant son verre : Vas-y Jondret ! Caresse-lui la couenne !

Cette nuit-là dans le fenil, Louis serre Marie dans ses bras en pleurant silencieusement.


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Trimballant Marie dans son panier, Louis passe devant l'atelier du maréchal-ferrant. Le fils de celui-ci, une vingtaine d'années, baluchon sur l'épaule, sort de l'atelier, suivi par son père furieux.
Le maréchal : Ingrat ! Mauvais fils !
Le fils : Ils ont besoin de forgerons, de menuisiers pour construire la ligne du chemin de fer. C'est autrement mieux payé que ton métier de misère. Avec ou sans ta bénédiction, adieu Papa !

Effondré, le maréchal-ferrant s'est assis sur un tabouret, bras ballants, tête basse. Derrière lui, un lourd cheval de labour attend son intervention. Louis pose son panier et s'approche du pauvre homme.
Le maréchal : Je lui ai tout appris pour qu'il me succède. Moi disparu, qui ferrera les chevaux ? Qui réparera les charrues ? Sans forgeron, que deviendra le village ?
Louis, timidement : Euh... Le fils du menuisier est parti lui aussi.

Le maréchal-ferrant se ressaisit. Il se lève pesammant et empoigne ses outils.
Le maréchal : C'est une catastrophe. Ecarte-toi Louis, je dois ferrer cette bête vicieuse qui m'a mordu l'an dernier.

Ils s'aperçoivent alors que le cheval s'est détaché et penche son lourd museau vers le panier où babille Marie.
Le maréchal : Attention ! Le bébé !...

Mais, à l'immense surprise de Louis et du maréchal-ferrant, le percheron chatouille délicatement le visage du bébé du bout de ses naseaux en remuant sa grosse tête. Marie rit de plus belle.


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Marie a un an. Louis lui fait faire ses premiers pas sous le regard protecteur de la chienne.

Marie a deux ans. Elle poursuit en riant les volailles qui se sauvent devant elle.

Marie a trois ans. Elle accompagne la grande Bernadette, la gardienne d'oies.

Dans la grand-rue du village, Louis et Marie, main dans la main, regardent passer le bouvier, son aiguillon sur l'épaule et flanqué de ses deux formidables bêtes. Le brave homme leur adresse un grand sourire.

A la terrasse du café, sous les platanes, l'instituteur commente son journal.
L'instit : Les derniers Communards ont été amnistiés. Tous ces malheureux rentrent enfin de leur inique déportation.

La nuit. Besace à l'épaule et bâton à la main, las d'un long voyage, Paolo arrive en vue de son cirque. Tout dort, à part quelques lumières aux fenêtres des roulottes qui entourent le petit chapiteau silencieux.
Paolo : Enfin ! Mon cirque !... Et Corinne !

Paolo fait irruption dans sa roulotte. Là, il surprend Corinne et un bellâtre enlacés dans le plus simple appareil. Paolo tire un long couteau à cran d'arrêt au grand effroi des deux amants.
Corinne s'écrie : Paolo !!!...



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L'instituteur tout joyeux rencontre Jondret : Ça y est ! Le gouvernement a décrété l'école gratuite et obligatoire. C'est une grande victoire républicaine sur l'obscurantisme des siècles révolus ! Il est temps de m'envoyer Louis, Monsieur Jondret.

Louis se présente à l'entrée de l'école, tenant Marie par la main.
L'instit : L'école n'est pas une garderie, Louis. Ta petite sœur est beaucoup trop jeune.
Louis : Elle a fait ses trois ans, M'sieu. Elle est très sage. Elle ne dérangera personne.

Dans la grande classe lumineuse, tandis que Louis écoute attentivement, Marie, assise à côté de lui, déchiffre, fascinée, les images du livre de lecture ''Le tour de la France par deux enfants''

Quelques mois plus tard,
l'instituteur commente les résultats : Premier : Louis Jondret. Bravo Louis ! Prenez exemple sui lui, c'est le plus travailleur de tous.

Marie est rayonnante. Quelque gamins mieux habillés tirent la tronche. À la sortie, les jaloux se moquent des deux enfants.
Un jaloux : Hou les bâtards ! C'est laid comme des têtards !
Louis retrousse ses manches : Tu te crois beau ? Attends...

La mère du vilain moqueur vient se plaindre chez les Jondret, traînant son gamin nez saignant et œil poché.
La mère : C'est inadmissible ! Votre bastardou a rossé mon petit Jacques.
Jondret défait sa ceinture à l'intention de Louis : Petit voyou...


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Un soir d'hiver. Les Jondret, Louiset Marie entrent dans l'une des maisons où va se dérouler ''l'Assemblée'', la veillée qui réunit la plupart des habitants du village. Les langues vont bon train.
1er villageois : Les Jondret ne manquent jamais une veillée chez les autres.
2eme villageois : Oui. Ces rapiats ont chauffage et chandelle gratuits.

Plus de la moitié du village est là. D'un côté, les femmes tricotent, filent au rouet. De l'autre, les hommes sculptent cannes et sabots. À la frontière des deux groupes, les jeunes gens flirtent discrètement. Les enfants, parmi lesquels Louis et Marie, écoutent fascinés les récits d'un aïeul assis devant l'âtre.
Une femme : Recule Papet, tu vas rôtir.
Le papet : Bah ! Je n'aurai jamais trop chaud après le passage de la Bérézina. Bérézina... Ce fou nous avait entraînés dans son délire grandiose. Les copains agonisaient dans la neige. Seule la mitraille des cosaques était brûlante...

Un colporteur a ouvert sa caisse sur la table, entouré par les jeunes filles qui choisissent bijoux de pacotille, rubans et colifichets. Pendant ce temps, le Mestre lit aux enfants un fascicule de la ''Bibliothèque Bleue'' qu'il vient d'acheter.
Le Mestre : ...Alors Mélusine se changea en vouivre et s'envola sous les yeux médusés de Raimondin...
Gros plan sur les visages émerveillés de Louis et Marie, serrés l'un contre l'autre.


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Peu avant le temps des moissons, tous les villageois font une procession autour des champs, promenant la statue de la Vierge sur un pavois, bannières au vent, curé en tête avec enfants de choeur et encensoir. Devant un de ces nombreux oratoires qui marquent la croisée des chemins, tous font halte et le curé bénit ses ouailles agenouillées.
Le curé : Seigneur bénissez notre blé, rendez la récolte abondante et protégez-nous de la grêle et des calamités. Ayons aussi une prière pour nos frères religieux ignomignieusement chassés de leurs monastères par ce gouvernement impie.
Debout au dernier rang, chapeau sur la tête, l'instituteur et quelques rares libre-penseurs avalent des couleuvres.

Eponine (un gros chapelet à la main) et les enfants font partie de la procession. Eponine interpelle une vieille femme qui coupe quelque épis encore verts, ce qui intrigue fort Marie.
Eponine : Ho, la ''Bruxa'' ! Qu'est-ce que tu fais ?
La Bruxa : Chut ! Je ramasse des épis bénis. Ça protège contre la foudre et les rages de dents.

La Bruxa à Eponine, voyant la curiosité de Marie : Tu veux bien me prêter Marie pour aller ramasser mes herbes ?
Eponine : La bastardette ? Tu peux même l'emmener au Diable !

Dans les bois, besace à l'épaule, la Bruxa cueille des plantes médicinales. Marie, très attentive, l'accompagne avec son petit panier.
La Bruxa : … Et ça, c'est une centaurée, qui guérit les maux de ventre.


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Ce dimanche-là, les Jondret, Louis et Marie arrivent à la foire aux bestiaux, à la bourgade voisine. De tous côtés, sur la grand-place et les rues adjacentes, ce n'est qu'un étalage de bêtes splendides, bœufs de labour et chevaux de trait, mais aussi chèvres, moutons et énormes oies grasses. La foule est compacte, bigarrée, bruyante. Les terrasses des auberges qui ceinturent la place ne désemplissent pas. Jondret mène par le licou un petit âne chargé de légères cages pleines à craquer de poules et lapins vivants, serrés comme des sardines.

Leur attention est attirée par des éclats de voix : attablés à la terrasse du ''Grand Café'' deux messieurs bien habillés et sûrs d'eux écoutent avec condescendance le Mestre s'étrangler d'indignation.
Le Mestre : 16 francs ? 16 francs l'hecto, vous m'achetez mon blé ? Alors cette année on a labouré, on a semé, on a moissonné pour rien ???...
1er acheteur, olympien : C'est à prendre ou à laisser. Et on vous donne la préférence.
2eme acheteur, montrant une photo dans le journal : Le blé importé d'Amérique coûte moins cher que le vôtre. Là-bas, ils ont des moissonneuses mécaniques qui font le travail de dix ouvriers en cinq fois moins de temps.

Le Mestre : Mais nos parcelles sont trop petites pour utiliser ces engins.
2eme acheteur, matois : Achetez cette machine et vos parcelles s'agrandiront.

Hébété, le Mestre passe devant les Jondret sans les voir.
Le Mestre : C'est invraisemblable ! C'est une catastrophe ! Je vais devoir... vendre ma terre.


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Eponine repose son fer à repasser et désigne à Louis et Marie la pile de linge tout propre et bien plié.
Eponine : Allez rapporter le linge au château, les bâtards. Et gare à vos fesses si vous salissez une seule pièce !

Poussant la brouette, les enfants arrivent au château des Broutignol. Pendant que Louis sonne, Marie contemple le blason gravé dans la pierre, au fronton de la grande porte.

Rosine, la servante, accueille les enfants, prend une pile de linge et désigne à Louis celui qui reste dans la brouette.
Rosine : Louis, aide-moi à porter ce linge à l'office.
Louis : Attends-moi ici Marie, et ne touche à rien.

A cet instant, la marquise de Broutignol surgit dans le hall, cherchant sa servante. Elle aperçoit Marie, plantée sur le seuil à côté de sa brouette.
La marquise : Rosine ? Où êtes....

Devant ses yeux écarquillés, le visage de Marie se superpose à celui de sa mère au même âge.
La marquise : Her... Hermine ???...

La marquise tombe évanouie sur le marbre glacé du hall. Rosine et Louis qui revenaient de l'office se précipitent.
Rosine : Madame !...

Louis empoigne Marie d'une main et la brouette de l'autre.
Louis : Ne restons pas là Marie, on va encore dire que c'est notre faute.


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Eponine et les enfants rentrent en hâte du lavoir, surpris par l'orage à la tombée du jour. Louis et Marie poussent la brouette lourdement chargée qui tangue sur le mauvais chemin.
Eponine : Brrr ! Plus vite fainéants, cette pluie est glaciale.

Malgré l'attention de Louis, la brouette penche dans une ornière et une pièce de drap reçoit une éclaboussure de boue. Eponine s'emporte et lève la main sur Marie.
Eponine : Petite bâtarde ! Tu l'as fait exprès. Retourne le laver toi-même ! Cours !

Marie rince le drap au lavoir, dans la nuit.

Et revient en courant sous la pluie, serrant dans ses bras le drap ruisselant roulé en boule.

Les Jondret sont attablés quand Marie arrive, trempée de la tête aux pieds.
Eponine : Va te coucher sans souper ! Ça t'apprendra.

Peu après, Louis lui apporte du pain en cachette. Mais Marie, recroquevillée dans le foin sous la mauvaise couverture, tousse dans son sommeil.

Louis, épouvanté, passe la main sur le front en sueur de Marie.
Louis : Mon Dieu ! Elle est brûlante de fièvre !


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Louis dégrigole dans la salle commune et implore les Jondret, occupés à picoler.
Louis : Madame Jondret ! Marie a la fièvre. Son front est brûlant. Par pitié, appelez le docteur !
Eponine : Foutaises ! C'est des histoires pour pas travailler.
Jondret : Remonte te coucher et ne nous dérange plus !

Quelques heures plus tard, Louis redescend du fenil sans bruit. La salle commune n'est plus éclairée que par les rougeoiments de l'âtre et on entend ronfler les Jondret dans leur lit-clos. Louis retire quelques pièces d'une boîte à biscuits cachée dans la huche.
Louis : Tant pis pour ce qui m'arrivera. Je ne la laisserai pas mourir !

Il frappe chez le docteur qui apparaît à sa fenêtre.
Le docteur : Louis ? A cette heure ? Que...
Louis : Docteur, je vous en prie, Marie est brûlante de fièvre.

Le docteur ouvre sa porte à Louis. Sa chemise de nuit pend sur un pantalon enfilé à la hâte.
Le docteur : Marie ? Je m'habille et je viens.
Louis : Non ! Les Jondret ne veulent pas. Mais j'ai de l'argent pour un remède.

Le docteur, soucieux, tend un petit flacon à Louis : Ah ? Je comprends. Garde ton argent et fais-lui avaler ça.

De retour dans le fenil, Louis administre le remède à Marie en lui soutenant la tête.
Louis : Bois, Marie ! Ne meurs pas, je t'en supplie ! J'ai tant besoin de toi...

Soudain les Jondret surgissent en vêtements de nuit, brandissant la boîte à biscuits.
Eponine rugit : Sale petit voleur!!!


p.19


Eponine jette Louis à terre et lève sa main énorme pour le frapper. Clouée de fièvre sur son grabat, Marie assiste à la scène, terrorisée et impuissante.

Louis s'est roulé en boule sur le plancher pour parer les coups. Eponine le bourre de coups de pied. Jondret s'apprète à le cingler de sa ceinture.
Eponine : Petit fumier ! Finis-le, Jondret ! Tue-le ! Qu'il s'en souvienne toute sa vie !

Mais Louis (gros plan sur le visage tuméfié, joue ouverte par la morsure de la ceinture) cesse de se protéger. Il se redresse, yeux étincelants d'une colère glacée, d'une détermination effrayante.
Louis : Assez !

Il a douze ans et, malgré les privations, les rudes travaux l'ont endurci. La fureur de la révolte le rend invincible : il a cessé de subir. Il arrache la ceinture des mains de Jondret.
Louis : Assez ! Ça suffit ! Plus jamais vous ne nous frapperez, méchantes gens ! Plus jamais !

Et ce sont les Jondret qui refluent, plus terrorisés par la révolte de leur victime que par les coups qui les cinglent.
Eponine : Mon Dieu, il est devenu enragé ! Les gendarmes ! Les gendarmes !

Dans le petit matin triste, deux gendarmes emmènent Louis, mais liées comme un criminel. Sur le pas de la porte, les Jondret le regardent s'éloigner.
Eponine : Le bagne d'enfants : voilà tout ce que mérite ce chien enragé !


p.20


Silhouette dérisoire entre les deux uniformes, Louis jette un œil par-dessus son épaule, désespéré.
Louis : Marie ! Qui la protègera ?

De la lucarne du fenil, Marie, larmes aux yeux, assiste à la scène. Les regards des deux enfants se croisent une dernière fois.

Le temps passe. Du haut de ses six ans, Marie bêche le potager ,

Pousse en grimaçant sous l'effort la lourde brouette de linge,

Prend les coups à la place de Louis quand les deux brutes ont bu.

Tandis qu'elle gravit l'échelle du fenil, Jondret la suit des yeux, une étincelle lubrique dans son regard aviné.
Jondret : Hé ! Hé ! Elle commence à devenir grande, la petiote.

A l'instant où Marie se hisse dans le fenil, ce qu'elle découvre illumine son visage de stupéfaction...


p.21


Louis est là, assis sur le plancher du grenier. Crâne rasé, traits émaciés, il sourit à Marie, un doigt devant la bouche.
Marie : Louis ?...
Louis : Chut !

Marie se jette dans les bras de Louis et pleure en riant.
Marie : Louis ! Louis ! Ils t'ont relâché ?
Louis : Je me suis évadé. Marie, je suis si heureux de te retrouver !

Marie s'agrippe au sarreau de Louis.
Marie : Louis, emmène-moi ! Je ne veux plus rester avec ces gens ! Ils sont trop méchants.
Louis : Je suis venu te chercher, petite sœur. Prenons des provisions et partons. Loin, très loin d'ici. Là où nous serons heureux.

Et, sous le regard bienveillant de la Lune, leurs frêles silhouettes s'éloignent du village maudit, chacun portant un baluchon. On est en février. Les arbres sont dénudés, le froid vif.
Marie : Où allons-nous ?
Louis, montrant l'étoile polaire : Vers le Nord. Les grandes villes. Paris. Là je trouverai du travail.

Marie : Louis, je commence à être fatiguée. Ça fait des heures que nous marchons.
Louis, soudain inquiet : Mon Dieu, j'ai commis une terrible erreur. Jamais nous n'aurions dû traverser cette forêt en pleine nuit !
Au mileu d'une clairière, ils sont soudain entourés par une meute de loups qui les observent de leurs yeux phosphorescents...


p.22


Louis ramasse une grosse branche morte et fait à Marie un rempart de son corps. Mais Marie le retient.
Louis : Mets-toi derrière moi, petite sœur !
Marie : Attends, Louis ! Ils ne sont pas méchants.

A la stupéfaction de Louis, Marie s'avance vers le chef de la meute et celui-ci lèche les mains de la fillette.

Puis les loups s'éloignent. Avant de disparaître dans la nuit, le chef se retourne une dernière fois et regarde les enfants.
Louis : Co... Comment fais-tu ça ???

Louis grimpe dans un arbre pendant que Marie grelotte.
Louis : Là-bas : une lumière !

Ils débouchent dans une nouvelle clairière baignée de lune où, devant un feu, se dresse...
Marie : La hutte d'un charbonnier !
Louis : On raconte des histoires effrayantes sur ces gens-là. Qu'ils vivent comme des bêtes...

A cet instant, une silhouette formidable se dresse devant les enfants. Noir, barbu, hirsute, yeux terribles, un colosse vêtu de hardes serre dans son poing un lièvre qu'il vient de prendre au collet. Un grand rire éclaire sa face.
Le charbonnier : … Et qu'ils mangent les petits enfants ? C'est la vérité vraie, gamin !


p.23

Un rai de soleil perce dans la hutte du charbonnier où dorment Louis et Marie, ensevelis sous une peau de chèvre. Les enfants s'éveillent en entendant au-dehors la voix de leur hôte.
Le charbonnier : Deux enfants ?...

Devant la hutte, barrant l'entrée sans ostentation, le charbonnier indique une direction à deux gendarmes.
Le charbonnier : Ouais, j'ai aperçu deux gosses, à l'aube, près du ruisseau. Ils allaient par-là...

Vérifiant par-dessus son épaule que les gendarmes se sont éloignés, le charbonnier entre dans la hutte.
Le charbonnier : C'est pas prudent de rester ici, les petiots. Partez vers l'Est, j'ai envoyé les pandores à l'Ouest.

Avec un large sourire, il tend à Louis le lièvre rôti enveloppé dans un chiffon douteux.
Le charbonnier : Et prenez ça. Je l'ai fait cuire pendant que vous dormiez.

Et les enfants reprennent leur fuite à travers bois et vallons. Tout en marchant, Louis raconte en quelques images muettes ses mois de bagne à Marie horrifiée. Fouet des gardiens (brutes bestiales en vareuses à boutons dorés) sur le dos des enfants amaigris qui ploient sous les pierres d'un chantier,

Violentes rixes entre les enfants détenus à coups de tessons de verre,

Cachot humide, rats, frêle silhouette recroquevillée dans une attitude de désespoir.

Louis, le regard perdu dans ces amers souvenirs, grogne entre ses dents : Je ne retournerai plus jamais au bagne, Marie. Plus jamais !


p.24


Mais, alors que Louis et Marie passent près d'un village, des paysans les montrent du doigt.
1er paysan : Ces gamins sont pas de chez nous.
2eme paysan : Sont p'têt les petits bâtards en fuite signalés par les gendarmes.

Louis et Marie ont encore une bonne avance sur les paysans qui se sont lancés à leur poursuite. Devant eux, dans un paysage tourmenté, un pont de pierre enjambe une gorge d'une profondeur vertigineuse au fond de laquelle gronde un gave écumant. De l'autre côté du pont, une épaisse sapinière s'élance à l'assaut de la montagne. Qu'ils l'atteignent, et nul ne pourra les trouver dans ce dédale végétal.
Louis : Cours, Marie ! Après ce pont, nous disparaîtrons dans la forêt.

Hélas ! À peine sont-ils au milieu du pont que deux gendarmes à cheval surgissent devant eux, barrant la route. Le brigadier met déjà pied à terre et s'avance vers les enfants.

Il empoigne Marie sans ménagements.
Le brigadier : Aha ! Voilà nos deux fuyards. Votre compte est bon, petits voyous !

Mais à cet instant, jaillissant de la forêt, un grand loup gris, chef de la meute croisée la nuit précédente, se jette sur le brigadier et lui broie le poignet entre ses crocs, l'obligeant à lâcher Marie avec un cri de douleur.

Grondant de fureur, babines retroussées, dents menaçantes, le loup s'interpose entre Marie et le brigadier qui tient sa main ensanglantée. Mais le second gendarme dégaine son sabre.
Le brigadier : C'est invraisemblable ! Les loups n'attaquent pa l'homme.
2eme gendarme : Sauf pour défendre leurs petits, Brigadier.

Et d'un impitoyable coup de sabre, il tue le loup sous le regard horrifié des enfants.


p.25


Tout est perdu ! Dans un instant, les gendarmes vont s'emparer des enfants. Louis saisit les mains de Marie et plonge son regard dans le sien.
Louis : Petite sœur, je t'aime plus que tout au monde, mais je ne peux plus rien pour toi.

Louis : Jamais je ne retournerai au bagne !
Et d'un bond, il enjambe le parapet.

Sous les yeux horrifiés des gendarmes et de Marie qui tend désespérément les mains vers lui,

Louis tombe du haut du pont, bras étendus comme un oiseau dans le ciel, comme le Christ sur la croix.

Et nous ne voyons plus que les rochers du torrent, éclaboussés de sang.

p.26


L'orphelinat dans le tour duquel Marie avait été abandonnée six années auparavant.
Dans le bureau de la Mère supérieure, Marie, tête basse, laisse passer l'orage. Derrière elle, sœur Sophie, la sœur tourière qui l'avait recueillie.
Mère sup : Petite sotte ! Monsieur et Madame Jondret étaient les meilleurs parents que vous n'ayez jamais eu. Au lieu de cela, vous avez trahi leur bonté et gaspillé la chance qui vous était offerte. Soeur Sophie, conduisez-la à la sœur économe qui lui donnera l'uniforme de notre orphelinat, et brûlez ses hardes puantes.

À l'économat, Marie revêt une grossière robe brune et chausse de gros sabots, sous l'oeil renfrogné de la sœur économe.
Marie : ça gratte.
Soeur économe : Et quoi encore, Princesse ? Tu t'y feras, c'est plus doux que les coups de fouet.

Dans la chapelle, le curé fait son sermon devant le parterre des pensionnaires silencieuses, robes brunes et tête baissée.
Le curé : Vous êtes toutes des enfants du péché, conçues horsdu sacrement de notre Sainte Eglise. C'est pourquoi votre conduite exemplaire doit racheter votre souillure, par votre labeur, votre humilité, vos mortifications...

Gros plan sur son visage au regard sournois, au rictus plein de sous-entendus.
Le curé : … et votre soumission aveugle aux serviteurs de Dieu ici présents, qui vous guident sur le chemin de votre rédemption.


p.27


La mère supérieure introduit Marie dans l'atelier. Penchées autour d'une grande table, les pensionnaires de tous âges « brodent, font des jours, cousent ourlets et coutures dans le linon, la soie ou la toile fine du lin des draps, font des nervures ou des baigneuses, bordent des boutonnières et festonnent la bride, froncent le tissu » (Marie Rouanet : Les enfants du bagne)
Mère sup, à une pensionnaire de l'âge de Marie : Lisa, vous apprendrez la broderie à la nouvelle. Et en silence ! Les autres, ne perdez pas de temps. Ces vêtements doivent être livrés avant demain soir pour le trousseau de la comtesse De Falco.

Marie s'assied à côté de Lisa, tout sourire dehors : Salut ! Je m'appelle...
Soeur couturière : Silence ! On travaille en silence. C'est bon pour cette fois, la nouvelle, mais que je ne t'y reprenne pas !

Mais la fille assise derrière Marie la pique méchamment avec son aiguille.
Marie, surprise, ne peut retenir un cri de douleur : Aïe !
Soeur couturière, furieuse : Vous le faites exprès ? Je vais vous dresser, moi !

La sœur couturière sort un instant de la pièce pour appeler un renfort.
Soeur couturière, off : Soeur Maxence, conduisez cette petite effrontée au cachot !
Marie en profite pour asséner de toutes ses forces une gifle retentissante à la fille qui lui a joué ce sale tour.

Puis, brandissant son sabot, elle la menace d'un air terrible sous le regard admiratif des autres pensionnaires.
Marie : Recommence, pour voir ?...

Dans le cachot, Marie, recroquevillée sur un bat-flanc, pleure en silence.
Marie : Louis !...


p.28


Au réfectoire, toujours silencieuses, toujours tête baissée, les pensionnaires sont attablées devant leur maigre repas. Au fond, l'une d'elles lit à voix haute un passage de la Bible et, derrière une grille séparant symboliquement l'espace sacré du profane, les nonnes prennent une collation nettement plus substantielle. Marie, assise à côté de Lisa, regarde avec stupéfaction le contenu de son écuelle.
Marie : C'est tout ?
Lisa : Chut ! Tais-toi, sinon c'est fouet-cachot. Tu t'y feras, c'est comme ça tous les jours.

Le repas terminé, Marie voit Lisa emporter discrètement le morceau de pain qu'elle n'a pas touché.
Marie : Tu ne finis pas ton pain ?
Lisa, gênée : Non... Je...

Un instant plus tard, au détour d'un couloir, Marie surprend Lisa et Catherine, une autre fille de leur âge, prises à partie par trois grandes de 13-15 ans. La leader, Augusta, frappe Catherine, qui pare les coups en geignant.
Augusta : Je t'avais ordonné de me rapporter ton pain, comme Lisa. Tiens, prends ça ! Ça t'apprendra à m'obéir.
Catherine : Non Augusta, pitié ! J'avais trop faim...

Oubliant ses sept ans, Marie, ivre d'indignation, apostrophe Augusta.
Marie : Grande lâche ! Tu n'as pas honte ? Frapper une plus petite !
Augusta, amusée par l'audace du moustique : Ah ! Ah ! C'est toi la petite nouvelle ?

Augusta empoigne Marie par le col, menaçante, la dominant d'une tête.
Augusta : Tu tombes bien. Ecoute : chaque jeudi, tu me donneras ton pain. Sinon...

Marie lui explose le tibia d'un coup de sabot.
Marie : Sinon ?...


p.29


Marie enchaîne d'un coup de poing sur le nez d'Augusta et se dégage de son étreinte.

Augusta recule en comprimant son nez qui pisse le sang. Marie s'est déchaussée et fait tournoyer ses sabots. Amies et ennemies, toutes sont stupéfaites par son audace.

Mais Augusta se précipite en pleurnichant sur une nonne qui passe et découvre la scène.
Augusta : Ma sœur ! Ma sœur ! Marie vient de me frapper. Elle est possédée !

Soeur Sophie entre dans le cachot où croupit Marie en jetant un regard derrière elle, un doigt sur les lèvres.
Marie : Soeur Sophie ?...

Soeur Sophie s'assied à côté de Marie et lui donne une demi miche de pain qu'elle cachait sous son aube.
Soeur Sophie, chuchote : Marie, je sais que tu traverses une dure épreuve, mais je ne peux rien pour toi.

Soeur Sophie donne à Marie la médaille des Broutignol
Soeur Sophie : C'est moi qui t'ai recueillie quand ta mère t'a déposée dans le tour de notre hospice. Tu portais au cou cette médaille. Prends-la, elle est à toi ! Et cache-la bien.

La nonne partie, Marie contemple la médaille au creux de sa main et se souvient du blason du château des Broutignol.


p.30


A sa sortie du cachot, Marie est chaudement remerciée par Lisa, Catherine et d'autres victimes d'Augusta.
Catherine : Pardonne-moi Marie, c'est à cause de moi que tu es allée au cachot.
Marie : Non. Pas à cause de toi, mais de cette brute d'Augusta. Vous vous laissez rançonner sans rien dire ?

Elisa : Augusta et ses acolytes punissent toutes celles qui ne se soumettent pas à leur loi.
Marie pense, en voyant le chat noir de la cuisinière : Elles punissent celles qu'elles peuvent reconnaître...

Dans l'atelier de couture déserté, la mère supérieure trouve la sœur couturière perplexe.
Mère sup : Quelque chose ne va pas, sœur couturière ?
Soeur couturière : Non... Non... J'étais persuadée qu'il me restait une pièce de soie noire.

La nuit venue, Marie, vêtue d'un collant de soie noire cousu main, visage masqué, se glisse dans la cuisine éclairée par un rayon de lune.
Marie : Je m'occuperai d'Augusta plus tard. D'abord, soulager ses victimes.

Dans le dortoir, Lisa s'éveille en sursaut et découvre une large tranche de pain que l'on vient de déposer près de son visage.
Lisa : Hein ? Qui ?...

Idem pour Catherine. Mais devant elle il n'y a que le chat noir de la cuisinière, assis sur son train arrière, qui la regarde de ses énigmatiques yeux verts.


p.31


La sœur cuisinière se plaint à la mère supérieure.
Soeur cuisinière : Mère supérieure, depuis plusieurs jours, on me vole de la nourriture.
Mère sup : Vous êtes sûre ? Je vais redoubler de vigilance.

La nuit venue, la mère supérieure fait sa ronde dans les couloirs déserts.
Mère sup : La nuit d'été est étouffante. Cela exacerbe les sens. Attention aux ''mœurs'' !

Elle passe lentement dans le dortoir plongé dans les ténèbres, entre les deux rangées de lits où les pensionnaires semblent toutes ensevelies dans le sommeil.
Mère sup : Tout va bien. Aucun signe de luxure.

Dè squ'elle est sortie, Augusta quitte son lit en chemise,
Augusta : La voie est libre.

Et se glisse dans le lit de sa protégée.
Augusta : La Vieille est partie. La nuit est à nous, mon p'tit cœur !

Elles s'embrassent. Leurs caresses se font très intimes.
Augusta : Le dernier bonheur qui nous reste dans cette maudite prison.

Dissimulée sos ses draps, déjà vêtue de son collant noir, Marie épie la scène.
Marie : Je déteste cette méthode, mais elle le mérite...


p.32


A l'extrémité du dortoir, juste séparée par un rideau, la nonne surveillante dort à poings fermés. Soulevant un coin du rideau, accroupie au ras du sol, prête à fuir, Marie lui chatouille le nez avec une longue paille.

La nonne s'éveille en sursaut et aperçoit une jambe gainée de noir qui disparaît derrière le rideau qui retombe.

Marie s'enfuit comme un furet au ras du sol entre les lits
Marie : J'ai cru qu'elle ne s'éveillerait jamais.

La surveillante saute de son lit et déboule dans le dortoir, lanterne au poing.
La surveillante : J'ai la berlue ? Une ombre dans la nuit...

Elle découvre Augusta et sa protégée.
La surveillante : Ah !!! Jésus, Marie ! Satan !!!

Aux glapissements de la surveillante, les nonnes font irruption dans le dortoir. Prise d'une fureur hystérique, la mère supérieure fouette à coups redoublés Augusta et son amie, recroquevillées sur le plancher, sous les regards des autres pensionnaires.
Mère sup : Possédées du Démon ! Au cachot ! Au cachot !

Dans l'atelier de couture, penchées sur leur ouvrage, Marie et ses amies chuchotent.
Lisa : Quand Augusta n'est pas là, ses acolytes n'osent plus nous rançonner.
Catherine : C'est le paradis !


p.33


Dans un couloir, Marie aperçoit encore une fois Augusta et ses sbires qui rackettent des petites sous la menace.
Marie : Un mois de cachot ne lui a donc pas servi de leçon ?

Agenouillée sur le plancher d'un grenier désert, à la lumière d'une tabatière, Marie taille et coud un second collant noir, plus grand que le sien étendu à côté pour comparer les mesures.
Marie : Je prends de gros risques, mais je dois absolument empêcher Augusta de nuire. C'est à peu près sa taille ?...

Dans la cuisine.
Soeur cuisinière : Oui ma Mère. Pendant un mois, les vols de nourriture avaient cessé.
Mère sup : Et vous dites qu'ils ont repris hier ?...

La nuit venue, la mère supérieure est assise dans un recoin de la cuisine plongé dans l'ombre, un fouet sur les genoux.
Mère sup : ...Depuis qu'Augusta est sortie du cachot.

Soudain, elle aperçoit une silhouette en collant noir qui vient dese glisser par la porte entr'ouverte. Elle bondit sur ses pieds en rugissant.
Mère sup : Je m'en doutais !

La mère supérieure s'élance à la poursuite de Marie, mais celle-ci disparaît déjà dans l'escalier qui mène au dortoir.
Mère sup : Arrête, créature du Diable ! Je te tiens !


p.34


Fouet au poing, la mère supérieure déboule dans le dortoir en hurlant.
Mère sup : Debout toutes ! Au pied de votre lit ! Ne touchez à rien !

A la stupéfaction générale, elle découvre sous le matelas d'Augusta le collant noir à sa taille et une demi miche de pain.
Mère sup : Je m'en doutais. Possédée du Diable !

Elle fouette comme une folle Augusta recroquevillée sur le plancher, dos zébré de sang par la lanière qui déchire sa chemise.
Mère sup : Fille perdue ! Je ne veux plus de toi ici ! Ta place est en prison ! En prison !

Marie, Lisa et Catherine tiennent conseil, cachées dans le grenier.
Marie : Que ceci nous serve de leçon. Désormais nous étoufferons dans l'oeuf toute tentative d'oppression.
Catherine : Surveillées comme nous le sommes ?

Marie : Il faudrait pouvoir communiquer ensemble à l'insu des autres.
Lisa, avec un sourire malicieux : Regarde : j'ai fauché ce citron à la cuisine. J'écris avec son jus... Je laisse sécher...

Marie : Et alors ? On ne voit rien.
Lisa : Hé ! Hé ! Chauffe la feuille !

Marie approche la bougie et le message se révèle :
« Marie, tu es ma meilleure amie ! »


p.35


Agenouillées sur le dallage glacial de la chapelle, tête baissée, les pensionnaires écoutent le sermon du curé.
Le curé : ...C'est pourquoi, filles du péché, vous devez consacrer votre misérable existence à expier la faute de vos parents, par la pénitence et la soumission.

Dans l'atelier de couture, Catherine craque et se confie à Marie en pleurant.
Catherine : Marie, je n'en peux plus. Ça ne finira donc jamais ? Que leur avons-nous fait pour qu'ils soient si méchants ?
Sœur couturière : Silence !

Moralement et physiquement épuisée, Catherine ahane sur sa lessive dans les vapeurs de la buanderie surchauffée où même les plus grandes montrent des signes de fatigue.

Pour la énième fois, Catherine, recroquevillée sur le sol, subit le fouet de la mère supérieure, possédée d'une fureur hystérique.

A plat ventre sur la table de la sacristie, mordant sa main pour ne pas crier, ravalant des larmes silencieuses, Catherine subit le viol du curé, rayonnant d'une jouissance bestiale.

Au réfectoire.
Marie : Catherine n'est pas là ?
Mère sup : Marie, montez-voir au dortoir si elle n'y fainéante pas ! Et dites-lui qu'elle sera punie pour son retard.

Sur le seuil du dortoir, Marie, atterrée, découvre le tragique spectacle : Au-dessus d'un tabouret renversé, le corps de la malheureuse Catherine se balance lentement...


p.36


« Et les années passèrent »
La joviale sœur cuisinière montre à Marie un journal dont la couverture au dessin emphatique vante le triomphe du général Boulanger au défilé du 14 juillet 1886

Nous voyons Marie et Lisa peinant sur leur ouvrage dans l'atelier de couture,

Dans la buanderie.

Soeur Sophie montre à Marie le dernier numéro de l'Illustration. Sur sa couverture en couleurs la tour Eiffel se dresse au-dessus de l'exposition universelle de 1899.

Atelier de couture,

Buanderie.

A genoux sur le dallage, le curé se tient le bas-ventre en grimaçant, tandis que Marie s'enfuit en courant.

Au cachot, Marie pleure en silence, recroquevillée sur le bat-flanc.


p.37


La mère supérieure a rassemblé les pensionnaires dans la chapelle et leur fait un speech.
Mère sup : Plusieurs personnes riches viennent aujourd'hui pour adopter des enfants. Faites-leur bonne figure, c'est peut-être la chance de votre vie.

Mais l'ancienne amie d'Augusta pique Marie par-derrière.
Marie : Aïe !
Mère sup : Marie, petite peste ! Encore vous ?

D'un grand geste, la mère supérieure congédie Marie.
Mère sup : Vous êtes consignée ! Montez au dortoir et pas un mot ou c'est le cachot !

Les pensionnaires sont rassemblées au garde-à-vous et, pilotés par les nonnes, les couples de richards les examinent avec condescendance, comme du bétail. Le marquis et la marquise deBroutignol sont parmi eux. La marquise semble prise de malaise.
La marquise : Oh mon Dieu, allons nous-en !
Mère sup : Vous êtes souffrante, Madame la marquise ?
Le marquis : Ma femme ne vit plus que dans le souvenir de notre fille défunte. J'espérais qu'adopter un enfant...

Lisa, rayonnante, fait irruption dans le dortoir, flanquée de sœur Sophie.
Lisa : Oh Marie, c'est merveilleux ! Des gens viennent de m'adopter. Ils m'emmènent tout de suite avec eux.
Soeur Sophie : Prenez vite vos affaires, petite bavarde ! Quelle chance vous avez, le comte Zaroff est très riche.

Marie ouvre la main de son amie et y dépose la médaille des Broutignol.
Marie : Lisa, garde cette médaille en souvenir de moi. C'est ce que j'ai de plus précieux.
Lisa : Oh, Marie ? Je ne m'en séparerai jamais pour penser à toi chaque jour.

Alors, seulement quand le dernier fiacre a quitté la cour de l'orphelinat, Marie ne retient plus ses larmes.


p.38


Le facteur à vélo passe sur un chemin. Sur le bas-côté, un arbre en fleurs indique que nous sommes au printemps.

La mère supérieure lit avec le sourire une lettre fraîchement décachetée. D'un geste, elle appelle Marie debout sur le seuil de son bureau.
Mère sup : Venez voir Marie, une lettre de votre amie Lisa.

Marie remarque que chaque ligne est séparée de la suivante par un large interligne.
« Ma très chère Mère, je mène une vie merveilleuse dans un grand château au toit de tuiles vertes, au milieu d'un vaste parc entouré de hauts murs. J'ai une chambre pour moi toute seule. Mon bienfaiteur m'a offert une magnifique poupée de porcelaine en crinoline verte. Il est si riche qu'il vient d'acheter une automobile. Je suis très heureuse et je pense à vous. Lisa. P.S : S'il vous plaît, donnez le bonjour à mon amie Marie.

Animée d'une exceptionnelle bonne humeur, la mère supérieure range la lettre dans un tiroir de son bureau.
Mère sup : Voilà de bonnes nouvelles ! Que la réussite de votre amie vous serve d'exemple. Soyez aimable et obéissante comme elle et peut-être qu'un jour des gens de bien vous adopteront aussi.

La nuit venue, Marie s'introduit dans le bureau désert,

Tire du tiroir la lettre de Lisa et la chauffe à la flamme d'une allumette.

Alors, dans les larges interlignes, la chaleur révèle un message écrit au jus de citron :
« Marie, au secours ! »


p.39


Hallucinée, marie lit le message secret.
« Le comte Zaroff me terrifie. J'ai surpris son regard : des yeux de fauve qui guette sa proie. Impossible de m'échapper, j'ai tout essayé. Je t'en supplie, viens à mon secours ! »

Marie : Demain, c'est vendredi. La comtesse de Saint-Fleury vient consulter son confesseur.

Le lendemain, la comtesse descend de sa calèche dans la cour de l'orphelinat, accueillie avec empressement par le fringant curé. Embusquée derrière le préau, Marie guette.

D'un rapide coup d'oeil par la fenêtre de la sacristie, elle s'assure que la dame est bien occupée à se faire culbuter par son confesseur,

S'assure alentour que personne ne la voit, puis se dissimule dans le coffre arrière de la calèche.

La nuit est tombée. Sous une pluie fine, la calèche cahote sur un chemin bordé d'arbres. Marie saute du coffre.
Marie : Libre ! Enfin, libre !

Marie : Mais d'abord, sauver Lisa !


p.40


Au matin, Marie, grelottante, arrive au lieu décrit dans la lettre de Lisa.
Marie : « Il habite un grand château au toit de tuiles vertes, au milieu d'un vaste parc entouré de hauts murs »

A cet instant, une Panhard & Levassor flambant neuve surgit derrière elle, quittant la route pour entrer dans la propriété. Le comte, assis derrière le chauffeur, interpelle Marie.
Le comte : Tu cherches quelque chose, petite ?
Marie : Je... Je suis perdue, Monsieur. Et j'ai faim.

D'un geste, le comte invite Marie à monter, tandis qu'un garde-chasse ouvre le portail.
Le comte : Viens au château. La cuisinière te donnera une bonne tartine.
Marie pense : « Il est si riche qu'il vient d'acheter une automobile »

L'auto roule sur l'allée de graviers. Par-dessus son épaule, Marie voit le garde-chasse refermer le portail et évalue la hauteur des murs.
Marie pense : « Impossible de m'échapper, j'ai tout essayé »

A l'office, Marie dévore une tartine sous l'oeil de la cuisinière.
La cuisinière : D'où viens-tu, petite ? Je ne t'ai jamais vue par ici.
Marie : Euh... J'ai perdu mes parents et je vais chez une tante.

Le comte apparaît sur le seuil, son visage rayonnant d'un sourire sardonique.
Le comte : Hé bien si tu veux, tu dormiras ici cette nuit. Après un bon bain et avec des habits propres, tu seras en pleine forme pour reprendre ton voyage demain.


p.41


Nue, debout dans un grand baquet, couverte de mousse, Marie reçoit la douche que lui prodigue la cuisinière à l'aide d'un seau chaffé près de l'âtre.
Marie : Je cherche une amie de mon âge qui vit dans la région.
La cuisinière se rembrunit : Connais pas.

L'oeil rivé à un judas dissimulé, le comte lisse sa moustache en contemplant le spectacle.
Le comte : ça alors ? C'est la fameuse amie dont parlait Lisa ? Quelle chance !

Marie a revêtu une splendide robe ''petite fille modèle''. Le comte la fait entrer dans une luxueuse chambre d'enfants. Sur l'oreiller, repose une magnifique poupée de porcelaine en crinoline verte.
Le comte : Voici ta chambre Marie, dors bien !
Marie : M... Merci Monsieur.

Le cabinet de travail du comte. Bureau chargé de dossiers où trônent des maquettes d'armes de guerre : canon de campagne, mitrailleuse Vickers, sous-marin. Aux murs sont épinglés des plans de ces mêmes armes, ainsi qu'un grand planisphère piqué de drapeaux localisant les conflits.
Là, le comte a rassemblé son personnel : chauffeur, cuisinière, femme de chambre, garde-chasses, majordome, et leur distribue des billets. Les domestiques, l'ai sombre, prennent l'argent en baissant la tête.
Le comte, d'un ton glacial et sans réplique : Vous avez tous congé jusqu'à après-demain. Et pas un mot à quiconque, comme d'habitude !

Dans sa chambre, Marie s'agenouille et soulève les volants de la courtepointe pour regarder sous le lit, par réflexe.
Marie : Comment sait-il que je m'appelle Marie ? Je ne l'ai dit à personne ici.

Stupéfaction : sous le lit, elle découvre la médaille des Broutignol.


p.42


La nuit est venue. Marie a quitté sa chambre et explore le château avec mille précautions.

Elle pénètre dans le cabinet de travail du comte. La bibliothèque a pivoté, dévoilant une porte dissimulée et les premiers degrés d'un escalier qui mène au sous-sol.

Marie descend prudemment l'escalier de pierre. Dans une crypte aux voûtes sinistres, une lumière attire son attention.

Elle débouche dans une véritable salle de tortures et hurle de terreur : au premier plan, nous ne voyons qu'un bras pendant maculé de sang séché. Sa position fait comprendre que le corps est pendu par les pieds.

Le comte surgit derrière Marie et referme son bras autour de son cou, un sourire sadique éclairant son visage.
Le comte : Tu as retrouvé ton amie, Marie ? Vilaine petite curieuse ! Je vais devoir te punir...


p.43


Marie mord jusqu'au sang a main du comte, qui lâche prise en criant.

Marie grimpe l'escalier quatre à quatre, les yeux fous de terreur.
Marie : « Impossible de m'échapper, j'ai tout essayé »

Elle s'est enfuie dans le parc. Le comte la poursuit, tenant en laisse deux énormes dogues
Le comte : Pas par là ! Les marais t'engloutieront ! Reviens !

L'aube commence à poindre. Marie s'engage dans le marais plein de brouillard et commence à patauger.

Soudain, elle est aspirée par le marécage, déjà jusqu'à la taille.
Marie : Mon Dieu, Non !!!

Le comte parvient au bord du marécage. Il considère, amer, le chapeau de marie qui flotte entre les roseaux.
Le comte : Adieu petite sotte, tu m'as frustré de bien délicieux plaisirs.


p.44


Un braconnier patauge dans le marécage, reprend pied sur la terre ferme. Il porte dans ses bras Marie à bout de forces, vêtements collés de boue.
Le braconnier : Tu as beaucoup de chance petite, si je n'étais pas venu relever mes nasses avant le Garde-Pêche...

Il recouvre de sa veste les épaules de Marie.
Le braconnier : Tu ne peux pas rester comme ça. Viens jusqu'au bourg voisin, le patron de la ''Bague d'Or'' est un poteau.

Marie et le braconnier arrivent sur la place de l'église et s'apprêtent à entrer dans le bistro. Mais une effervescence inquiétante règne là : d'un côté de la place, un bataillon de soldats attend, l'arme au pied. De l'autre, une foule d'hommes, de femmes et d'enfants est rassemblée.
Le braconnier : Que se passe-t-il ?
Un homme : A l'occasion du 1er Mai, les grévistes de la ''Sans Pareille'' réclament de meilleures conditions de travail.

Dans le bistro, tandis que Marie, une couverture sur les épaules, est réconfortée d'un bol de soupe, le patron, le braconnier et d'autres clients observent par la fenêtre le remue-ménage sur la place.
Le patron : Les patrons ont fait venir la Troupe. Je n'aime pas ça !
Le braconnier : T'as vu leurs fusils ? Jamais vu ce modèle, pourtant je m'y connais.

Sur la place, derrière le bataillon des ''lignards'', le préfet ceint de tricolore donne ses ordres au capitaine.
Le préfet : Excellente occasion de tester le nouveau fusil Lebel, Capitaine. Dispersez-moi cette racaille !
Le capitaine : A vos ordres, Monsieur le Préfet.


p.45


Le capitaine crie un ordre. Les fusils tirent. Hommes, femmes et enfants tombent devant l'église. Au centre de la place, le curé supplie en vain les soldats.

Les balles frappent jusque dans le bistro. Un garçonnet est tué sous les yeux de Marie qui se lève d'un bond en renversant sa chaise. Derrière elle, la porte de la cour entr'ouverte suggère une fuite possible.

Marie court à perdre haleine à travers champs.

A bout de forces, elle s'écroule sur le sol, à l'orée d'un bois et sanglotte.
Marie : Dieu tout-puissant ! Quelle cruauté. Comment peuvent-ils ?...

Paolo, Corinne et Sandor jaillissent de leur cirque, armés d'un fusil, d'un filet, d'un trident.
Corinne : Pauvre Freddy, elle l'a proprement déchiqueté.
Paolo : Sale bête ! Elle est folle furieuse. Il faut la retrouver avant qu'elle ne fasse d'autres victimes !


p.46


Débouchant dans la clairière, Paolo, Corinne et Sandor découvrent, stupéfaits, Marie assise sur l'herbe, câlinant la panthère entre ses bras.
Marie, à la panthère : Toi, tu n'es pas comme eux. Reste avec moi, je t'aime !

Voyant les circassiens armés approcher, Marie protège la panthère.
Marie : Je vous en supplie, ne lui faites pas de mal !
Paolo, stupéfait : C'est incroyable !

Paolo : Elle... Tu... Tu n'as pas peur ? Tu pourrais t'occuper de ce fauve ?
Marie, rayonnante : Vous voulez bien ? Je peux ? Oh, merci Monsieur !

Plus tard, au cirque, Paolo et Corinne observent Marie qui cajole les panthères dans leur cage.
Paolo : Hé bien Corinne chérie, notre dompteur défunt est bien remplacé.
Corinne : Il faut un nom de scène à cette gamine. Si nous l'appelions Félina ?


Prochain épisode



Le marchand de mort





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