« Dis papa, pourquoi Madame Goetzinger elle dessine plus Félina ? »
Quand mes filles étaient petites, je leur lisais des contes ou des BD chaque soir. Puis un jour mon aînée m'a posé cette question. Pendant des années elle m'a trotté dans la tête, puis lentement l'évidence s'est imposée : c'est moi qui devais écrire de nouveaux scénarios pour cette Dame ! Et voilà ce que ça a donné...
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Un
vieil homme maigre à barbichette est assis à sa table de travail
dans le cercle de lumière d'une suspension à gaz. Engoncé dans une
robe de chambre matelassée coiffé d'un bonnet à gland, il écrit à
la plume d'oie d'une main fébrile.
- Moi, Hubert-Marie
Patoufet de la Bouquelle et saint-Cilice,
conscient de la confusion mentale dans laquelle mes contemporains
sont plongés par les mensonges judéo-maçonniques, anticléricaux
et antiroyalistes qui mènent notre grande nation à la
dégénérescence, j'abandonne momentanément l'oeuvre de ma vie
consacrée à la réhabilitation du très Saint Dujenou-Declerc et
prends la plume afin de rétablir la vérité sur les agissement
scandaleux d'une créature de Satan que la campagne d'intoxication
des mécréants fait passer pour une justicière philanthrope. J'ai
nommé...
Un éclair zèbre le ciel nocturne, éclairant les
lettres qui s'étalent sur toute la largeur de la page :
FELINA
Paris,
boulevard de Mazas, 25 mars 1878. La prison dresse sa sinistre
silouhette sous l'orage.
- Yo le savais !...
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Dans
l'infirmerie de la prison, Carlos
Roca
enlace Hermine, qui se défend mollement
- Yo le savais que
sous cette robe de boure se cachait le corps d'oune fâmme !
« Carlos
Roca, dangereux anarchiste espagnol, fut abattu peu de temps après
en tentant de s'évader »
Bras en croix sur le pavé de la
cour, Roca
agonise aux pieds de ses geôliers en murmurant :
-
Hermine !...
« Et celle qui dans le siècle s'était
appelée Hermine Broutignol avant d'être sœur Camille du Sacré
Cilice dut fuir pour cacher sa honte »
Un châle sur les
épaules, Hermine s'enfuit sous les tourbillons de neige, courbée
sous le poids de son ventre rond.
« Après avoir erré
dans les environs du château de Broutignol, domaine
familial... »
Serrant son bébé dans ses bras, Hermine
gravit le perron du château. Caché derrière le tronc d'un arbre,
le jardinier l'aperçoit.
Dans le salon, le marquis de
Broutignol lit à sa femme catastrophée une lettre fraîchement
reçue. Derrière la porte à petits carreaux, Hermine voit et entend
tout sans oser entrer.
Le
marquis :
L'Administration m'informe qu'Hermine a renié ses vœux et s'est
enfuie de l'infirmerie où elle exerçait son sacerdoce. Quelle
honte ! Quel déshonneur pour notre famille ! Je la renie !
Nous n'avons plus de fille !
Hermine s'enfuit sans signaler
sa présence, serrant contre son cœur son précieux fardeau.
Elle
passe une médaille au cou de son bébé et le dépose dans le tour
d'un hospice,
Puis se jette sous un train.
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A
l'intérieur de l'hospice, la jeune et sympathique sœur tourière
recueille le bébé. Elle examine la médaille de l'enfant qui porte
les armoiries des Broutignol. Comme elle tourne le dos à la sèche
et aigre Mère supérieure, celle-ci ne voit pas la médaille.
Mère
sup :
Encore un de ces rejetons du péché ? Quelle horreur !
Tous ces animalcules qui naissent souillés par la luxure et la
débauche dégoûtante de leur mère.
Elle s'empare sans
ménagements de l'enfant, la tenant éloignée d'elle comme un paquet
répugnant. Ce faisant, elle ne voit pas la main de la sœur tourière
se refermant sur la médaille.
Mère
sup :
Vite, il faut la baptiser tout de suite ! Si elle ne survit pas,
au moins sauvons son âme.
Dans la chapelle froide et bleue de
l'hospice, le curé verse l'eau sur le front de l'enfant que la sœur
tourière tient au-dessus de la vasque baptismale. La mère supérieur
écrit sur un registre :
« Recueillie ce jour une
enfant abandonnée. L'avons baptisée Marie-Madeleine. L'avons
confiée à la femme Jondret, nourrice notoire.
Soeur
tourière,
inquiète : La Jondret ? Mais ma Mère, il court
d'inquiétantes rumeurs sur cette femme...
Mère
sup,
sèchement : Sottises ! Madame Jondret est un bonne
chrétienne, qui a élevé de nombreux enfants abandonnés.
Elle
remet l'enfant à une lourde paysanne aux traits antipathiques
emmitouflée dans un grossier châle de laine.
Et la femme
emporte le bébé dans la nuit tandis que, sur le seuil, la sœur
tourière ne cache pas son inquiétude.
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Un
petit village agricole aux maisons serrées les unes contre les
autres le long de la rue principale.
Eponine Jondret entre
dans la masure qu'elle habite avec son mari. Maigre comme une fouine,
moustache hérissée, béret crasseux vissé sur la tête, ceinture
de flanelle serrans sa chemise autour des reins, il paraît chétif à
côté de la matrone. Accoudé à la table massive encombrée de
victuailles, il vide une bouteille de vin par petites gorgées d'un
verre douteux. La pièce n'est éclairée que par l'âtre où pend
une marmite. Saucissons, épis de maïs, chapelets d'ail et d'oignons
pendent aux poutres noircies par la fumée.
Jondret :
Encore un crevard des religieuses ?
Eponine :
Plaisante, mais tu es bien aise de boire la pension qu'il nous
rapporte. Et même s'il crève tout de suite, la pension du mois
reste acquise. Et le trousseau aussi. Comme les précédents.
Jondret :
Trousseau que je vendrai dès dimanche au marché ! Ça nous
fera toujours quelques sous.
Eponine sort dans la basse-cour,
derrière la maison. Là, parmi les volailles qui picorent, Louis, un
gamin de 6 ou 7 ans, coupe du bois sur un billot avec une hachette.
Amaigri par les privations, pieds nus, il est vêtu de mauvaises
guenilles qui ne le protègent guère du froid. Eponine lui tend
Marie comme un paquet.
Eponine :
Louis, occupe-toi de ce rat ! J'veux pas en entendre parler. Hé
le bâtard, j'te cause !
Louis
considère Marie tristement : Toi aussi, ils t'ont adoptée ?
Encore une morte en sursis...
Marie lui adresse un grand
sourire et gazouille, ses yeux pétillants. Louis est comme frappé
par la foudre. Son cœur fond devant tant d'innocence. Débordant de
tendresse, il la serre dans ses bras.
Louis :
Que tu es mignonne ! N'aie pas peur petite sœur, je te
protègerai contre tous ces méchants grigous !...
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Louis
apporte Marie dans l'appentis qui sert de poulailler et d'étable.
Une chèvre au pis gonflé le regarde entrer.
Louis :
biquette, je t'amène une nouvelle pensionnaire. Celle-ci, ne la
laisse pas mourir, elle est trop gentille !
Il maintient
Marie en bonne position et le bébé tète comme un chevreau.
Louis
s'adresse
à la chienne : Bergère, protège-la quand je ne suis pas là !
Je ne veux pas qu'ils lui fassent un sale coup.
La chienne
lèche le visage de Marie, qui gazouille de plaisir.
Eponine
surgit sur le seuil : Hé fainéant, viens m'aider ! La
lessive n'attend pas.
Ils prennent le chemin du lavoir. Louis
pousse la brouette chargée de linge sale sur laquelle il a installé
Marie dans un panier.
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Eponine,
Louis et leur brouette arrivent au lavoir communal. Les commères
interpellent Eponine.
1ère
lavandière :
Ho Eponine, tu as encore adopté une ''bastardette'' ?
Eponine :
M'en parlez pas ! C'est par pure charité chrétienne. Une
bouche de plus à nourrir.
2ème
lavandière :
Mais tu es bien aise de toucher sa pension chaque mois, comme pour
Louis, non ?
Eponine :
Une misère ! Ça ne rembourse même pas ce que je dépense pour
eux.
Pendant que les lavandières (et leurs langues)
s'affairent, Louis cueille des fleurs et les suspend à l'anse du
panier de Marie qui gazouille en essayant de les attrapper.
Des
petits oiseaux se perchent sur l'anse et ''dialoguent'' avec le
bébé.
Retour. Louis ahane en poussant la brouette. Le linge
mouillé est de plomb.
Quelques heures plus tard, Eponine
termine le repassage. Le linge immaculé est plié en piles bien
carrées. D'énormes fers à repasser trônent contre l'âtre.
Eponine s'éponge le front et tend la main vers une bouteille de
vin.
Eponine :
Ouf ! Je suis brisée. Va livrer le linge, Bastardou ! Et
gare à tes os si tu salis un seul mouchoir !
Sur le
seuil d'une demeure cossue, Louis remet un paquet de linge à une
servante. Marie et son panier trônent toujours sur la brouette.
La
servante :
Oh le migno bébé !
Louis,
fier comme Artaban : C'est ma petite sœur !
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Les
années passent. Louis bêche le potager,
Nourrit les animaux
de la basse-cour,
Balaie la maison,
Pousse la brouette
de linge,
Fait manger sa bouillie à Marie,
Change ses
langes avec un air dégoûté,
Fait la grimace en regardant le
fond de son assiette, au repas du soir,
Monte au fenil par
l'échelle,
Et dort dans le foin, lové contre Marie, une
couverture râpeuse jetée sur les enfants.
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Le
repas du soir. Tous sont réunis autour de la table.
Jondret,
à Louis : Demain, ils commencent la fenaison à la ferme des
Escloupié. Ils ont besoin de bras et il y a quelques sous à gagner.
Tu iras, Bastardou ! Tu es un gaillard solide à présent, avec
la bonne soupe qu'on te donne.
Eponine :
Il est temps que tu rembourses tout ce qu'on a dépensé pour
toi.
Louis :
Mais ? Je ne peux pas laisser Marie toute seule...
Eponine :
C'est ton problème.
Le lendemain à l'aube, Louis,
trimballant toujours Marie dans son panier, se présente au
''Mestre'' de la fenaison. Celui-ci se gratte la nuque de perplexité
en considérant le moineau qui se tient devant lui.
Le
Mestre :
Ah ? Jondret m'avait dit... Mais tu es bien jeune pour faire ce
travail, Louis. Enfin... tu lieras les gerbes avec les femmes. Et ta
petite sœur là, faut pas qu'elle gêne le travail.
Louis :
N'ayez pas peur M'sieu, elle est sage comme une image.
Sous un
soleil de plomb, le Mestre et ses hommes avancent en ligne dans le
champ, couchant les épis à grands coups de faux. Derrière eux,
Louis et les femmes, courbés en deux, ramassent inlassablement les
gerbes, les lient et les entassent sur le côté. Au bout du champ, à
l'orée d'un bois, on aperçoit les paniers de provisions des
travailleurs déposés à l'ombre des premiers arbres.
Le
Mestre :
Han ! L'autre nuit, un renard m'a égorgé deux chapons.
Han !...
Une
femme :
Sale bête ! Ça vous saigne tout ce qui est sans défense.
A
l'orée du bois, parmi les paniers de provisions, il y a celui où
dort Marie. Un renard sort des fourrés et s'approche silencieusement
de cette proie sans défense...
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Soudain,on
entend Marie babiller : Biii ! Biii !...
Louis :
Marie ? A qui gazouille-t-elle ainsi ?...
Il se
précipite et découvre un spectacle incroyable : à l'orée du
bois, le panier de Marie est renversé et celle-ci, vautrée contre
la renarde couchée sur le dos, joue avec la fourrure de l'animal
ravi.
L'arrivée de Louis rompt le charme. La renarde se sauve
comme un éclair tandis que Louis serre Marie dans ses bras. Il la
regarde d'un air stupéfait :
Louis :
Tu es extraordinaire, petite sœur. Si je raconte ça, personne ne me
croira.
Le soir, Louis rentre harassé par sa journée de
labeur. Attablés devant une bouteille, les Jondret l'invectivent en
contemplant son maigre salaire.
Eponine :
Quoi ? C'est tout ce que tu rapportes ?
Louis :
Le Mestre m'a dit que j'étais pas assez grand pour faire
faucheur.
Jondret
se lève en défaisant sa ceinture : Pas assez ? Avec tout
ce que tu nous mange ?...
Jondret fouette Louis à coups
de ceinture. L'enfant courbe le dos, se recroqueville, essaie de
parer les coups.
Jondret :
Fainéant ! T'apprendrai, moi !
Eponine,
remplissant son verre : Vas-y Jondret ! Caresse-lui la
couenne !
Cette nuit-là dans le fenil, Louis serre Marie
dans ses bras en pleurant silencieusement.
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Trimballant
Marie dans son panier, Louis passe devant l'atelier du
maréchal-ferrant. Le fils de celui-ci, une vingtaine d'années,
baluchon sur l'épaule, sort de l'atelier, suivi par son père
furieux.
Le
maréchal :
Ingrat ! Mauvais fils !
Le
fils :
Ils ont besoin de forgerons, de menuisiers pour construire la ligne
du chemin de fer. C'est autrement mieux payé que ton métier de
misère. Avec ou sans ta bénédiction, adieu Papa !
Effondré,
le maréchal-ferrant s'est assis sur un tabouret, bras ballants, tête
basse. Derrière lui, un lourd cheval de labour attend son
intervention. Louis pose son panier et s'approche du pauvre homme.
Le
maréchal :
Je lui ai tout appris pour qu'il me succède. Moi disparu, qui
ferrera les chevaux ? Qui réparera les charrues ? Sans
forgeron, que deviendra le village ?
Louis,
timidement : Euh... Le fils du menuisier est parti lui
aussi.
Le maréchal-ferrant se ressaisit. Il se lève
pesammant et empoigne ses outils.
Le
maréchal :
C'est une catastrophe. Ecarte-toi Louis, je dois ferrer cette bête
vicieuse qui m'a mordu l'an dernier.
Ils s'aperçoivent alors
que le cheval s'est détaché et penche son lourd museau vers le
panier où babille Marie.
Le
maréchal :
Attention ! Le bébé !...
Mais, à l'immense
surprise de Louis et du maréchal-ferrant, le percheron chatouille
délicatement le visage du bébé du bout de ses naseaux en remuant
sa grosse tête. Marie rit de plus belle.
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Marie
a un an. Louis lui fait faire ses premiers pas sous le regard
protecteur de la chienne.
Marie a deux ans. Elle poursuit en
riant les volailles qui se sauvent devant elle.
Marie a trois
ans. Elle accompagne la grande Bernadette, la gardienne d'oies.
Dans
la grand-rue du village, Louis et Marie, main dans la main, regardent
passer le bouvier, son aiguillon sur l'épaule et flanqué de ses
deux formidables bêtes. Le brave homme leur adresse un grand
sourire.
A la terrasse du café, sous les platanes,
l'instituteur commente son journal.
L'instit :
Les derniers Communards ont été amnistiés. Tous ces malheureux
rentrent enfin de leur inique déportation.
La nuit. Besace à
l'épaule et bâton à la main, las d'un long voyage, Paolo arrive en
vue de son cirque. Tout dort, à part quelques lumières aux fenêtres
des roulottes qui entourent le petit chapiteau silencieux.
Paolo :
Enfin ! Mon cirque !... Et Corinne !
Paolo fait
irruption dans sa roulotte. Là, il surprend Corinne et un bellâtre
enlacés dans le plus simple appareil. Paolo tire un long couteau à
cran d'arrêt au grand effroi des deux amants.
Corinne
s'écrie : Paolo !!!...
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L'instituteur
tout joyeux rencontre Jondret : Ça y est ! Le gouvernement
a décrété l'école gratuite et obligatoire. C'est une grande
victoire républicaine sur l'obscurantisme des siècles révolus !
Il est temps de m'envoyer Louis, Monsieur Jondret.
Louis se
présente à l'entrée de l'école, tenant Marie par la
main.
L'instit :
L'école n'est pas une garderie, Louis. Ta petite sœur est beaucoup
trop jeune.
Louis :
Elle a fait ses trois ans, M'sieu. Elle est très sage. Elle ne
dérangera personne.
Dans la grande classe lumineuse, tandis
que Louis écoute attentivement, Marie, assise à côté de lui,
déchiffre, fascinée, les images du livre de lecture ''Le tour de la
France par deux enfants''
Quelques mois plus tard,
l'instituteur
commente les résultats : Premier : Louis Jondret. Bravo
Louis ! Prenez exemple sui lui, c'est le plus travailleur de
tous.
Marie est rayonnante. Quelque gamins mieux habillés
tirent la tronche. À la sortie, les jaloux se moquent des deux
enfants.
Un
jaloux :
Hou les bâtards ! C'est laid comme des têtards !
Louis
retrousse ses manches : Tu te crois beau ? Attends...
La
mère du vilain moqueur vient se plaindre chez les Jondret, traînant
son gamin nez saignant et œil poché.
La
mère :
C'est inadmissible ! Votre bastardou a rossé mon petit
Jacques.
Jondret
défait sa ceinture à l'intention de Louis : Petit voyou...
p.13
Un
soir d'hiver. Les Jondret, Louiset Marie entrent dans l'une des
maisons où va se dérouler ''l'Assemblée'', la veillée qui réunit
la plupart des habitants du village. Les langues vont bon train.
1er
villageois :
Les Jondret ne manquent jamais une veillée chez les autres.
2eme
villageois :
Oui. Ces rapiats ont chauffage et chandelle gratuits.
Plus de
la moitié du village est là. D'un côté, les femmes tricotent,
filent au rouet. De l'autre, les hommes sculptent cannes et sabots. À
la frontière des deux groupes, les jeunes gens flirtent
discrètement. Les enfants, parmi lesquels Louis et Marie, écoutent
fascinés les récits d'un aïeul assis devant l'âtre.
Une
femme :
Recule Papet, tu vas rôtir.
Le
papet :
Bah ! Je n'aurai jamais trop chaud après le passage de la
Bérézina. Bérézina... Ce fou nous avait entraînés dans son
délire grandiose. Les copains agonisaient dans la neige. Seule la
mitraille des cosaques était brûlante...
Un colporteur a
ouvert sa caisse sur la table, entouré par les jeunes filles qui
choisissent bijoux de pacotille, rubans et colifichets. Pendant ce
temps, le Mestre lit aux enfants un fascicule de la ''Bibliothèque
Bleue'' qu'il vient d'acheter.
Le
Mestre :
...Alors Mélusine se changea en vouivre et s'envola sous les yeux
médusés de Raimondin...
Gros plan sur les visages émerveillés
de Louis et Marie, serrés l'un contre l'autre.
p.14
Peu
avant le temps des moissons, tous les villageois font une procession
autour des champs, promenant la statue de la Vierge sur un pavois,
bannières au vent, curé en tête avec enfants de choeur et
encensoir. Devant un de ces nombreux oratoires qui marquent la
croisée des chemins, tous font halte et le curé bénit ses ouailles
agenouillées.
Le
curé :
Seigneur bénissez notre blé, rendez la récolte abondante et
protégez-nous de la grêle et des calamités. Ayons aussi une prière
pour nos frères religieux ignomignieusement chassés de leurs
monastères par ce gouvernement impie.
Debout au dernier rang,
chapeau sur la tête, l'instituteur et quelques rares libre-penseurs
avalent des couleuvres.
Eponine (un gros chapelet à la main)
et les enfants font partie de la procession. Eponine interpelle une
vieille femme qui coupe quelque épis encore verts, ce qui intrigue
fort Marie.
Eponine :
Ho, la ''Bruxa'' ! Qu'est-ce que tu fais ?
La
Bruxa :
Chut ! Je ramasse des épis bénis. Ça protège contre la
foudre et les rages de dents.
La
Bruxa à
Eponine, voyant la curiosité de Marie : Tu veux bien me prêter
Marie pour aller ramasser mes herbes ?
Eponine :
La bastardette ? Tu peux même l'emmener au Diable !
Dans
les bois, besace à l'épaule, la Bruxa cueille des plantes
médicinales. Marie, très attentive, l'accompagne avec son petit
panier.
La
Bruxa :
… Et ça, c'est une centaurée, qui guérit les maux de ventre.
p.15
Ce
dimanche-là, les Jondret, Louis et Marie arrivent à la foire aux
bestiaux, à la bourgade voisine. De tous côtés, sur la grand-place
et les rues adjacentes, ce n'est qu'un étalage de bêtes splendides,
bœufs de labour et chevaux de trait, mais aussi chèvres, moutons et
énormes oies grasses. La foule est compacte, bigarrée, bruyante.
Les terrasses des auberges qui ceinturent la place ne désemplissent
pas. Jondret mène par le licou un petit âne chargé de légères
cages pleines à craquer de poules et lapins vivants, serrés comme
des sardines.
Leur attention est attirée par des éclats de
voix : attablés à la terrasse du ''Grand Café'' deux
messieurs bien habillés et sûrs d'eux écoutent avec condescendance
le Mestre s'étrangler d'indignation.
Le
Mestre :
16 francs ? 16 francs l'hecto, vous m'achetez mon blé ?
Alors cette année on a labouré, on a semé, on a moissonné pour
rien ???...
1er
acheteur,
olympien : C'est à prendre ou à laisser. Et on vous donne la
préférence.
2eme
acheteur,
montrant une photo dans le journal : Le blé importé d'Amérique
coûte moins cher que le vôtre. Là-bas, ils ont des moissonneuses
mécaniques qui font le travail de dix ouvriers en cinq fois moins de
temps.
Le
Mestre :
Mais nos parcelles sont trop petites pour utiliser ces engins.
2eme
acheteur,
matois : Achetez cette machine et vos parcelles
s'agrandiront.
Hébété, le Mestre passe devant les Jondret
sans les voir.
Le
Mestre :
C'est invraisemblable ! C'est une catastrophe ! Je vais
devoir... vendre ma terre.
p.16
Eponine
repose son fer à repasser et désigne à Louis et Marie la pile de
linge tout propre et bien plié.
Eponine :
Allez rapporter le linge au château, les bâtards. Et gare à vos
fesses si vous salissez une seule pièce !
Poussant la
brouette, les enfants arrivent au château des Broutignol. Pendant
que Louis sonne, Marie contemple le blason gravé dans la pierre, au
fronton de la grande porte.
Rosine, la servante, accueille les
enfants, prend une pile de linge et désigne à Louis celui qui reste
dans la brouette.
Rosine :
Louis, aide-moi à porter ce linge à l'office.
Louis :
Attends-moi ici Marie, et ne touche à rien.
A cet instant, la
marquise de Broutignol surgit dans le hall, cherchant sa servante.
Elle aperçoit Marie, plantée sur le seuil à côté de sa
brouette.
La
marquise :
Rosine ? Où êtes....
Devant ses yeux écarquillés, le
visage de Marie se superpose à celui de sa mère au même âge.
La
marquise :
Her... Hermine ???...
La marquise tombe évanouie sur le
marbre glacé du hall. Rosine et Louis qui revenaient de l'office se
précipitent.
Rosine :
Madame !...
Louis empoigne Marie d'une main et la
brouette de l'autre.
Louis :
Ne restons pas là Marie, on va encore dire que c'est notre faute.
p.17
Eponine
et les enfants rentrent en hâte du lavoir, surpris par l'orage à la
tombée du jour. Louis et Marie poussent la brouette lourdement
chargée qui tangue sur le mauvais chemin.
Eponine :
Brrr ! Plus vite fainéants, cette pluie est glaciale.
Malgré
l'attention de Louis, la brouette penche dans une ornière et une
pièce de drap reçoit une éclaboussure de boue. Eponine s'emporte
et lève la main sur Marie.
Eponine :
Petite bâtarde ! Tu l'as fait exprès. Retourne le laver
toi-même ! Cours !
Marie rince le drap au lavoir,
dans la nuit.
Et revient en courant sous la pluie, serrant
dans ses bras le drap ruisselant roulé en boule.
Les Jondret
sont attablés quand Marie arrive, trempée de la tête aux
pieds.
Eponine :
Va te coucher sans souper ! Ça t'apprendra.
Peu après,
Louis lui apporte du pain en cachette. Mais Marie, recroquevillée
dans le foin sous la mauvaise couverture, tousse dans son
sommeil.
Louis, épouvanté, passe la main sur le front en
sueur de Marie.
Louis :
Mon Dieu ! Elle est brûlante de fièvre !
p.18
Louis
dégrigole dans la salle commune et implore les Jondret, occupés à
picoler.
Louis :
Madame Jondret ! Marie a la fièvre. Son front est brûlant. Par
pitié, appelez le docteur !
Eponine :
Foutaises ! C'est des histoires pour pas travailler.
Jondret :
Remonte te coucher et ne nous dérange plus !
Quelques
heures plus tard, Louis redescend du fenil sans bruit. La salle
commune n'est plus éclairée que par les rougeoiments de l'âtre et
on entend ronfler les Jondret dans leur lit-clos. Louis retire
quelques pièces d'une boîte à biscuits cachée dans la
huche.
Louis :
Tant pis pour ce qui m'arrivera. Je ne la laisserai pas mourir !
Il
frappe chez le docteur qui apparaît à sa fenêtre.
Le
docteur :
Louis ? A cette heure ? Que...
Louis :
Docteur, je vous en prie, Marie est brûlante de fièvre.
Le
docteur ouvre sa porte à Louis. Sa chemise de nuit pend sur un
pantalon enfilé à la hâte.
Le
docteur :
Marie ? Je m'habille et je viens.
Louis :
Non ! Les Jondret ne veulent pas. Mais j'ai de l'argent pour un
remède.
Le
docteur,
soucieux, tend un petit flacon à Louis : Ah ? Je
comprends. Garde ton argent et fais-lui avaler ça.
De retour
dans le fenil, Louis administre le remède à Marie en lui soutenant
la tête.
Louis :
Bois, Marie ! Ne meurs pas, je t'en supplie ! J'ai tant
besoin de toi...
Soudain les Jondret surgissent en vêtements
de nuit, brandissant la boîte à biscuits.
Eponine
rugit : Sale petit voleur!!!
p.19
Eponine
jette Louis à terre et lève sa main énorme pour le frapper. Clouée
de fièvre sur son grabat, Marie assiste à la scène, terrorisée et
impuissante.
Louis s'est roulé en boule sur le plancher pour
parer les coups. Eponine le bourre de coups de pied. Jondret
s'apprète à le cingler de sa ceinture.
Eponine :
Petit fumier ! Finis-le, Jondret ! Tue-le ! Qu'il s'en
souvienne toute sa vie !
Mais Louis (gros plan sur le
visage tuméfié, joue ouverte par la morsure de la ceinture) cesse
de se protéger. Il se redresse, yeux étincelants d'une colère
glacée, d'une détermination effrayante.
Louis :
Assez !
Il a douze ans et, malgré les privations, les
rudes travaux l'ont endurci. La fureur de la révolte le rend
invincible : il a cessé de subir. Il arrache la ceinture des
mains de Jondret.
Louis :
Assez ! Ça suffit ! Plus jamais vous ne nous frapperez,
méchantes gens ! Plus jamais !
Et ce sont les
Jondret qui refluent, plus terrorisés par la révolte de leur
victime que par les coups qui les cinglent.
Eponine :
Mon Dieu, il est devenu enragé ! Les gendarmes ! Les
gendarmes !
Dans le petit matin triste, deux gendarmes
emmènent Louis, mais liées comme un criminel. Sur le pas de la
porte, les Jondret le regardent s'éloigner.
Eponine :
Le bagne d'enfants : voilà tout ce que mérite ce chien
enragé !
p.20
Silhouette
dérisoire entre les deux uniformes, Louis jette un œil par-dessus
son épaule, désespéré.
Louis :
Marie ! Qui la protègera ?
De la lucarne du fenil,
Marie, larmes aux yeux, assiste à la scène. Les regards des deux
enfants se croisent une dernière fois.
Le temps passe. Du
haut de ses six ans, Marie bêche le potager ,
Pousse en
grimaçant sous l'effort la lourde brouette de linge,
Prend
les coups à la place de Louis quand les deux brutes ont bu.
Tandis
qu'elle gravit l'échelle du fenil, Jondret la suit des yeux, une
étincelle lubrique dans son regard aviné.
Jondret :
Hé ! Hé ! Elle commence à devenir grande, la petiote.
A
l'instant où Marie se hisse dans le fenil, ce qu'elle découvre
illumine son visage de stupéfaction...
p.21
Louis
est là, assis sur le plancher du grenier. Crâne rasé, traits
émaciés, il sourit à Marie, un doigt devant la bouche.
Marie :
Louis ?...
Louis :
Chut !
Marie se jette dans les bras de Louis et pleure en
riant.
Marie :
Louis ! Louis ! Ils t'ont relâché ?
Louis :
Je me suis évadé. Marie, je suis si heureux de te
retrouver !
Marie s'agrippe au sarreau de Louis.
Marie :
Louis, emmène-moi ! Je ne veux plus rester avec ces gens !
Ils sont trop méchants.
Louis :
Je suis venu te chercher, petite sœur. Prenons des provisions et
partons. Loin, très loin d'ici. Là où nous serons heureux.
Et,
sous le regard bienveillant de la Lune, leurs frêles silhouettes
s'éloignent du village maudit, chacun portant un baluchon. On est en
février. Les arbres sont dénudés, le froid vif.
Marie :
Où allons-nous ?
Louis,
montrant l'étoile polaire : Vers le Nord. Les grandes villes.
Paris. Là je trouverai du travail.
Marie :
Louis, je commence à être fatiguée. Ça fait des heures que nous
marchons.
Louis,
soudain inquiet : Mon Dieu, j'ai commis une terrible erreur.
Jamais nous n'aurions dû traverser cette forêt en pleine nuit !
Au
mileu d'une clairière, ils sont soudain entourés par une meute de
loups qui les observent de leurs yeux phosphorescents...
p.22
Louis
ramasse une grosse branche morte et fait à Marie un rempart de son
corps. Mais Marie le retient.
Louis :
Mets-toi derrière moi, petite sœur !
Marie :
Attends, Louis ! Ils ne sont pas méchants.
A la
stupéfaction de Louis, Marie s'avance vers le chef de la meute et
celui-ci lèche les mains de la fillette.
Puis les loups
s'éloignent. Avant de disparaître dans la nuit, le chef se retourne
une dernière fois et regarde les enfants.
Louis :
Co... Comment fais-tu ça ???
Louis grimpe dans un arbre
pendant que Marie grelotte.
Louis :
Là-bas : une lumière !
Ils débouchent dans une
nouvelle clairière baignée de lune où, devant un feu, se
dresse...
Marie :
La hutte d'un charbonnier !
Louis :
On raconte des histoires effrayantes sur ces gens-là. Qu'ils vivent
comme des bêtes...
A cet instant, une silhouette formidable
se dresse devant les enfants. Noir, barbu, hirsute, yeux terribles,
un colosse vêtu de hardes serre dans son poing un lièvre qu'il
vient de prendre au collet. Un grand rire éclaire sa face.
Le
charbonnier :
… Et qu'ils mangent les petits enfants ? C'est la vérité
vraie, gamin !
p.23
Un
rai de soleil perce dans la hutte du charbonnier où dorment Louis et
Marie, ensevelis sous une peau de chèvre. Les enfants s'éveillent
en entendant au-dehors la voix de leur hôte.
Le
charbonnier :
Deux enfants ?...
Devant la hutte, barrant l'entrée sans
ostentation, le charbonnier indique une direction à deux
gendarmes.
Le
charbonnier :
Ouais, j'ai aperçu deux gosses, à l'aube, près du ruisseau. Ils
allaient par-là...
Vérifiant par-dessus son épaule que les
gendarmes se sont éloignés, le charbonnier entre dans la hutte.
Le
charbonnier :
C'est pas prudent de rester ici, les petiots. Partez vers l'Est, j'ai
envoyé les pandores à l'Ouest.
Avec un large sourire, il
tend à Louis le lièvre rôti enveloppé dans un chiffon douteux.
Le
charbonnier :
Et prenez ça. Je l'ai fait cuire pendant que vous dormiez.
Et
les enfants reprennent leur fuite à travers bois et vallons. Tout en
marchant, Louis raconte en quelques images muettes ses mois de bagne
à Marie horrifiée. Fouet des gardiens (brutes bestiales en vareuses
à boutons dorés) sur le dos des enfants amaigris qui ploient sous
les pierres d'un chantier,
Violentes rixes entre les enfants
détenus à coups de tessons de verre,
Cachot humide, rats,
frêle silhouette recroquevillée dans une attitude de
désespoir.
Louis,
le regard perdu dans ces amers souvenirs, grogne entre ses dents :
Je ne retournerai plus jamais au bagne, Marie. Plus jamais !
p.24
Mais,
alors que Louis et Marie passent près d'un village, des paysans les
montrent du doigt.
1er
paysan :
Ces gamins sont pas de chez nous.
2eme
paysan :
Sont p'têt les petits bâtards en fuite signalés par les
gendarmes.
Louis et Marie ont encore une bonne avance sur les
paysans qui se sont lancés à leur poursuite. Devant eux, dans un
paysage tourmenté, un pont de pierre enjambe une gorge d'une
profondeur vertigineuse au fond de laquelle gronde un gave écumant.
De l'autre côté du pont, une épaisse sapinière s'élance à
l'assaut de la montagne. Qu'ils l'atteignent, et nul ne pourra les
trouver dans ce dédale végétal.
Louis :
Cours, Marie ! Après ce pont, nous disparaîtrons dans la
forêt.
Hélas ! À peine sont-ils au milieu du pont que
deux gendarmes à cheval surgissent devant eux, barrant la route. Le
brigadier met déjà pied à terre et s'avance vers les enfants.
Il
empoigne Marie sans ménagements.
Le
brigadier :
Aha ! Voilà nos deux fuyards. Votre compte est bon, petits
voyous !
Mais à cet instant, jaillissant de la forêt,
un grand loup gris, chef de la meute croisée la nuit précédente,
se jette sur le brigadier et lui broie le poignet entre ses crocs,
l'obligeant à lâcher Marie avec un cri de douleur.
Grondant
de fureur, babines retroussées, dents menaçantes, le loup
s'interpose entre Marie et le brigadier qui tient sa main
ensanglantée. Mais le second gendarme dégaine son sabre.
Le
brigadier :
C'est invraisemblable ! Les loups n'attaquent pa l'homme.
2eme
gendarme :
Sauf pour défendre leurs petits, Brigadier.
Et d'un
impitoyable coup de sabre, il tue le loup sous le regard horrifié
des enfants.
p.25
Tout
est perdu ! Dans un instant, les gendarmes vont s'emparer des
enfants. Louis saisit les mains de Marie et plonge son regard dans le
sien.
Louis :
Petite sœur, je t'aime plus que tout au monde, mais je ne peux plus
rien pour toi.
Louis :
Jamais je ne retournerai au bagne !
Et d'un bond, il enjambe
le parapet.
Sous les yeux horrifiés des gendarmes et de Marie
qui tend désespérément les mains vers lui,
Louis tombe du
haut du pont, bras étendus comme un oiseau dans le ciel, comme le
Christ sur la croix.
Et nous ne voyons plus que les rochers du
torrent, éclaboussés de sang.
p.26
L'orphelinat
dans le tour duquel Marie avait été abandonnée six années
auparavant.
Dans le bureau de la Mère supérieure, Marie, tête
basse, laisse passer l'orage. Derrière elle, sœur Sophie, la sœur
tourière qui l'avait recueillie.
Mère
sup :
Petite sotte ! Monsieur et Madame Jondret étaient les meilleurs
parents que vous n'ayez jamais eu. Au lieu de cela, vous avez trahi
leur bonté et gaspillé la chance qui vous était offerte. Soeur
Sophie, conduisez-la à la sœur économe qui lui donnera l'uniforme
de notre orphelinat, et brûlez ses hardes puantes.
À
l'économat, Marie revêt une grossière robe brune et chausse de
gros sabots, sous l'oeil renfrogné de la sœur économe.
Marie :
ça gratte.
Soeur
économe :
Et quoi encore, Princesse ? Tu t'y feras, c'est plus doux que
les coups de fouet.
Dans la chapelle, le curé fait son sermon
devant le parterre des pensionnaires silencieuses, robes brunes et
tête baissée.
Le
curé :
Vous êtes toutes des enfants du péché, conçues horsdu sacrement
de notre Sainte Eglise. C'est pourquoi votre conduite exemplaire doit
racheter votre souillure, par votre labeur, votre humilité, vos
mortifications...
Gros plan sur son visage au regard sournois,
au rictus plein de sous-entendus.
Le
curé :
… et votre soumission aveugle aux serviteurs de Dieu ici présents,
qui vous guident sur le chemin de votre rédemption.
p.27
La
mère supérieure introduit Marie dans l'atelier. Penchées autour
d'une grande table, les pensionnaires de tous âges « brodent,
font des jours, cousent ourlets et coutures dans le linon, la soie ou
la toile fine du lin des draps, font des nervures ou des baigneuses,
bordent des boutonnières et festonnent la bride, froncent le tissu »
(Marie Rouanet : Les enfants du bagne)
Mère
sup,
à une pensionnaire de l'âge de Marie : Lisa, vous apprendrez
la broderie à la nouvelle. Et en silence ! Les autres, ne
perdez pas de temps. Ces vêtements doivent être livrés avant
demain soir pour le trousseau de la comtesse De Falco.
Marie
s'assied à côté de Lisa, tout sourire dehors : Salut !
Je m'appelle...
Soeur
couturière :
Silence ! On travaille en silence. C'est bon pour cette fois, la
nouvelle, mais que je ne t'y reprenne pas !
Mais la fille
assise derrière Marie la pique méchamment avec son aiguille.
Marie,
surprise, ne peut retenir un cri de douleur : Aïe !
Soeur
couturière,
furieuse : Vous le faites exprès ? Je vais vous dresser,
moi !
La sœur couturière sort un instant de la pièce
pour appeler un renfort.
Soeur
couturière,
off : Soeur Maxence, conduisez cette petite effrontée au
cachot !
Marie en profite pour asséner de toutes ses forces
une gifle retentissante à la fille qui lui a joué ce sale
tour.
Puis, brandissant son sabot, elle la menace d'un air
terrible sous le regard admiratif des autres pensionnaires.
Marie :
Recommence, pour voir ?...
Dans le cachot, Marie,
recroquevillée sur un bat-flanc, pleure en silence.
Marie :
Louis !...
p.28
Au
réfectoire, toujours silencieuses, toujours tête baissée, les
pensionnaires sont attablées devant leur maigre repas. Au fond,
l'une d'elles lit à voix haute un passage de la Bible et, derrière
une grille séparant symboliquement l'espace sacré du profane, les
nonnes prennent une collation nettement plus substantielle. Marie,
assise à côté de Lisa, regarde avec stupéfaction le contenu de
son écuelle.
Marie :
C'est tout ?
Lisa :
Chut ! Tais-toi, sinon c'est fouet-cachot. Tu t'y feras, c'est
comme ça tous les jours.
Le repas terminé, Marie voit Lisa
emporter discrètement le morceau de pain qu'elle n'a pas
touché.
Marie :
Tu ne finis pas ton pain ?
Lisa,
gênée : Non... Je...
Un instant plus tard, au détour
d'un couloir, Marie surprend Lisa et Catherine, une autre fille de
leur âge, prises à partie par trois grandes de 13-15 ans. La
leader, Augusta, frappe Catherine, qui pare les coups en
geignant.
Augusta :
Je t'avais ordonné de me rapporter ton pain, comme Lisa. Tiens,
prends ça ! Ça t'apprendra à m'obéir.
Catherine :
Non Augusta, pitié ! J'avais trop faim...
Oubliant ses
sept ans, Marie, ivre d'indignation, apostrophe Augusta.
Marie :
Grande lâche ! Tu n'as pas honte ? Frapper une plus
petite !
Augusta,
amusée par l'audace du moustique : Ah ! Ah ! C'est
toi la petite nouvelle ?
Augusta empoigne Marie par le
col, menaçante, la dominant d'une tête.
Augusta :
Tu tombes bien. Ecoute : chaque jeudi, tu me donneras ton pain.
Sinon...
Marie lui explose le tibia d'un coup de
sabot.
Marie :
Sinon ?...
p.29
Marie
enchaîne d'un coup de poing sur le nez d'Augusta et se dégage de
son étreinte.
Augusta recule en comprimant son nez qui pisse
le sang. Marie s'est déchaussée et fait tournoyer ses sabots. Amies
et ennemies, toutes sont stupéfaites par son audace.
Mais
Augusta se précipite en pleurnichant sur une nonne qui passe et
découvre la scène.
Augusta :
Ma sœur ! Ma sœur ! Marie vient de me frapper. Elle est
possédée !
Soeur Sophie entre dans le cachot où
croupit Marie en jetant un regard derrière elle, un doigt sur les
lèvres.
Marie :
Soeur Sophie ?...
Soeur Sophie s'assied à côté de
Marie et lui donne une demi miche de pain qu'elle cachait sous son
aube.
Soeur
Sophie,
chuchote : Marie, je sais que tu traverses une dure épreuve,
mais je ne peux rien pour toi.
Soeur Sophie donne à Marie la
médaille des Broutignol
Soeur
Sophie :
C'est moi qui t'ai recueillie quand ta mère t'a déposée dans le
tour de notre hospice. Tu portais au cou cette médaille. Prends-la,
elle est à toi ! Et cache-la bien.
La nonne partie,
Marie contemple la médaille au creux de sa main et se souvient du
blason du château des Broutignol.
p.30
A
sa sortie du cachot, Marie est chaudement remerciée par Lisa,
Catherine et d'autres victimes d'Augusta.
Catherine :
Pardonne-moi Marie, c'est à cause de moi que tu es allée au
cachot.
Marie :
Non. Pas à cause de toi, mais de cette brute d'Augusta. Vous vous
laissez rançonner sans rien dire ?
Elisa :
Augusta et ses acolytes punissent toutes celles qui ne se soumettent
pas à leur loi.
Marie
pense, en voyant le chat noir de la cuisinière : Elles
punissent celles qu'elles peuvent reconnaître...
Dans
l'atelier de couture déserté, la mère supérieure trouve la sœur
couturière perplexe.
Mère
sup :
Quelque chose ne va pas, sœur couturière ?
Soeur
couturière :
Non... Non... J'étais persuadée qu'il me restait une pièce de soie
noire.
La nuit venue, Marie, vêtue d'un collant de soie noire
cousu main, visage masqué, se glisse dans la cuisine éclairée par
un rayon de lune.
Marie :
Je m'occuperai d'Augusta plus tard. D'abord, soulager ses
victimes.
Dans le dortoir, Lisa s'éveille en sursaut et
découvre une large tranche de pain que l'on vient de déposer près
de son visage.
Lisa :
Hein ? Qui ?...
Idem pour Catherine. Mais devant
elle il n'y a que le chat noir de la cuisinière, assis sur son train
arrière, qui la regarde de ses énigmatiques yeux verts.
p.31
La
sœur cuisinière se plaint à la mère supérieure.
Soeur
cuisinière :
Mère supérieure, depuis plusieurs jours, on me vole de la
nourriture.
Mère
sup :
Vous êtes sûre ? Je vais redoubler de vigilance.
La
nuit venue, la mère supérieure fait sa ronde dans les couloirs
déserts.
Mère
sup :
La nuit d'été est étouffante. Cela exacerbe les sens. Attention
aux ''mœurs'' !
Elle passe lentement dans le dortoir
plongé dans les ténèbres, entre les deux rangées de lits où les
pensionnaires semblent toutes ensevelies dans le sommeil.
Mère
sup :
Tout va bien. Aucun signe de luxure.
Dè squ'elle est sortie,
Augusta quitte son lit en chemise,
Augusta :
La voie est libre.
Et se glisse dans le lit de sa
protégée.
Augusta :
La Vieille est partie. La nuit est à nous, mon p'tit cœur !
Elles
s'embrassent. Leurs caresses se font très intimes.
Augusta :
Le dernier bonheur qui nous reste dans cette maudite
prison.
Dissimulée sos ses draps, déjà vêtue de son
collant noir, Marie épie la scène.
Marie :
Je déteste cette méthode, mais elle le mérite...
p.32
A
l'extrémité du dortoir, juste séparée par un rideau, la nonne
surveillante dort à poings fermés. Soulevant un coin du rideau,
accroupie au ras du sol, prête à fuir, Marie lui chatouille le nez
avec une longue paille.
La nonne s'éveille en sursaut et
aperçoit une jambe gainée de noir qui disparaît derrière le
rideau qui retombe.
Marie s'enfuit comme un furet au ras du
sol entre les lits
Marie :
J'ai cru qu'elle ne s'éveillerait jamais.
La surveillante
saute de son lit et déboule dans le dortoir, lanterne au poing.
La
surveillante :
J'ai la berlue ? Une ombre dans la nuit...
Elle découvre
Augusta et sa protégée.
La
surveillante :
Ah !!! Jésus, Marie ! Satan !!!
Aux
glapissements de la surveillante, les nonnes font irruption dans le
dortoir. Prise d'une fureur hystérique, la mère supérieure fouette
à coups redoublés Augusta et son amie, recroquevillées sur le
plancher, sous les regards des autres pensionnaires.
Mère
sup :
Possédées du Démon ! Au cachot ! Au cachot !
Dans
l'atelier de couture, penchées sur leur ouvrage, Marie et ses amies
chuchotent.
Lisa :
Quand Augusta n'est pas là, ses acolytes n'osent plus nous
rançonner.
Catherine :
C'est le paradis !
p.33
Dans
un couloir, Marie aperçoit encore une fois Augusta et ses sbires qui
rackettent des petites sous la menace.
Marie :
Un mois de cachot ne lui a donc pas servi de leçon ?
Agenouillée
sur le plancher d'un grenier désert, à la lumière d'une tabatière,
Marie taille et coud un second collant noir, plus grand que le sien
étendu à côté pour comparer les mesures.
Marie :
Je prends de gros risques, mais je dois absolument empêcher Augusta
de nuire. C'est à peu près sa taille ?...
Dans la
cuisine.
Soeur
cuisinière :
Oui ma Mère. Pendant un mois, les vols de nourriture avaient
cessé.
Mère
sup :
Et vous dites qu'ils ont repris hier ?...
La nuit venue,
la mère supérieure est assise dans un recoin de la cuisine plongé
dans l'ombre, un fouet sur les genoux.
Mère
sup :
...Depuis qu'Augusta est sortie du cachot.
Soudain, elle
aperçoit une silhouette en collant noir qui vient dese glisser par
la porte entr'ouverte. Elle bondit sur ses pieds en rugissant.
Mère
sup :
Je m'en doutais !
La mère supérieure s'élance à la
poursuite de Marie, mais celle-ci disparaît déjà dans l'escalier
qui mène au dortoir.
Mère
sup :
Arrête, créature du Diable ! Je te tiens !
p.34
Fouet
au poing, la mère supérieure déboule dans le dortoir en
hurlant.
Mère
sup :
Debout toutes ! Au pied de votre lit ! Ne touchez à
rien !
A la stupéfaction générale, elle découvre sous
le matelas d'Augusta le collant noir à sa taille et une demi miche
de pain.
Mère
sup :
Je m'en doutais. Possédée du Diable !
Elle fouette
comme une folle Augusta recroquevillée sur le plancher, dos zébré
de sang par la lanière qui déchire sa chemise.
Mère
sup :
Fille perdue ! Je ne veux plus de toi ici ! Ta place est en
prison ! En prison !
Marie, Lisa et Catherine
tiennent conseil, cachées dans le grenier.
Marie :
Que ceci nous serve de leçon. Désormais nous étoufferons dans
l'oeuf toute tentative d'oppression.
Catherine :
Surveillées comme nous le sommes ?
Marie :
Il faudrait pouvoir communiquer ensemble à l'insu des autres.
Lisa,
avec un sourire malicieux : Regarde : j'ai fauché ce
citron à la cuisine. J'écris avec son jus... Je laisse
sécher...
Marie :
Et alors ? On ne voit rien.
Lisa :
Hé ! Hé ! Chauffe la feuille !
Marie approche
la bougie et le message se révèle :
« Marie, tu es ma
meilleure amie ! »
p.35
Agenouillées
sur le dallage glacial de la chapelle, tête baissée, les
pensionnaires écoutent le sermon du curé.
Le
curé :
...C'est pourquoi, filles du péché, vous devez consacrer votre
misérable existence à expier la faute de vos parents, par la
pénitence et la soumission.
Dans l'atelier de couture,
Catherine craque et se confie à Marie en pleurant.
Catherine :
Marie, je n'en peux plus. Ça ne finira donc jamais ? Que leur
avons-nous fait pour qu'ils soient si méchants ?
Sœur
couturière :
Silence !
Moralement et physiquement épuisée, Catherine
ahane sur sa lessive dans les vapeurs de la buanderie surchauffée où
même les plus grandes montrent des signes de fatigue.
Pour la
énième fois, Catherine, recroquevillée sur le sol, subit le fouet
de la mère supérieure, possédée d'une fureur hystérique.
A
plat ventre sur la table de la sacristie, mordant sa main pour ne pas
crier, ravalant des larmes silencieuses, Catherine subit le viol du
curé, rayonnant d'une jouissance bestiale.
Au
réfectoire.
Marie :
Catherine n'est pas là ?
Mère
sup :
Marie, montez-voir au dortoir si elle n'y fainéante pas ! Et
dites-lui qu'elle sera punie pour son retard.
Sur le seuil du
dortoir, Marie, atterrée, découvre le tragique spectacle :
Au-dessus d'un tabouret renversé, le corps de la malheureuse
Catherine se balance lentement...
p.36
« Et
les années passèrent »
La joviale sœur cuisinière montre
à Marie un journal dont la couverture au dessin emphatique vante le
triomphe du général Boulanger au défilé du 14 juillet 1886
Nous
voyons Marie et Lisa peinant sur leur ouvrage dans l'atelier de
couture,
Dans la buanderie.
Soeur Sophie montre à
Marie le dernier numéro de l'Illustration. Sur sa couverture en
couleurs la tour Eiffel se dresse au-dessus de l'exposition
universelle de 1899.
Atelier de couture,
Buanderie.
A
genoux sur le dallage, le curé se tient le bas-ventre en grimaçant,
tandis que Marie s'enfuit en courant.
Au cachot, Marie pleure
en silence, recroquevillée sur le bat-flanc.
p.37
La
mère supérieure a rassemblé les pensionnaires dans la chapelle et
leur fait un speech.
Mère
sup :
Plusieurs personnes riches viennent aujourd'hui pour adopter des
enfants. Faites-leur bonne figure, c'est peut-être la chance de
votre vie.
Mais l'ancienne amie d'Augusta pique Marie
par-derrière.
Marie :
Aïe !
Mère
sup :
Marie, petite peste ! Encore vous ?
D'un grand
geste, la mère supérieure congédie Marie.
Mère
sup :
Vous êtes consignée ! Montez au dortoir et pas un mot ou c'est
le cachot !
Les pensionnaires sont rassemblées au
garde-à-vous et, pilotés par les nonnes, les couples de richards
les examinent avec condescendance, comme du bétail. Le marquis et la
marquise deBroutignol sont parmi eux. La marquise semble prise de
malaise.
La
marquise :
Oh mon Dieu, allons nous-en !
Mère
sup :
Vous êtes souffrante, Madame la marquise ?
Le
marquis :
Ma femme ne vit plus que dans le souvenir de notre fille défunte.
J'espérais qu'adopter un enfant...
Lisa, rayonnante, fait
irruption dans le dortoir, flanquée de sœur Sophie.
Lisa :
Oh Marie, c'est merveilleux ! Des gens viennent de m'adopter.
Ils m'emmènent tout de suite avec eux.
Soeur
Sophie :
Prenez vite vos affaires, petite bavarde ! Quelle chance vous
avez, le comte Zaroff est très riche.
Marie ouvre la main de
son amie et y dépose la médaille des Broutignol.
Marie :
Lisa, garde cette médaille en souvenir de moi. C'est ce que j'ai de
plus précieux.
Lisa :
Oh, Marie ? Je ne m'en séparerai jamais pour penser à toi
chaque jour.
Alors, seulement quand le dernier fiacre a quitté
la cour de l'orphelinat, Marie ne retient plus ses larmes.
p.38
Le
facteur à vélo passe sur un chemin. Sur le bas-côté, un arbre en
fleurs indique que nous sommes au printemps.
La mère
supérieure lit avec le sourire une lettre fraîchement décachetée.
D'un geste, elle appelle Marie debout sur le seuil de son
bureau.
Mère
sup :
Venez voir Marie, une lettre de votre amie Lisa.
Marie
remarque que chaque ligne est séparée de la suivante par un large
interligne.
« Ma très chère Mère, je mène une vie
merveilleuse dans un grand château au toit de tuiles vertes, au
milieu d'un vaste parc entouré de hauts murs. J'ai une chambre pour
moi toute seule. Mon bienfaiteur m'a offert une magnifique poupée de
porcelaine en crinoline verte. Il est si riche qu'il vient d'acheter
une automobile. Je suis très heureuse et je pense à vous. Lisa.
P.S : S'il vous plaît, donnez le bonjour à mon amie
Marie.
Animée d'une exceptionnelle bonne humeur, la mère
supérieure range la lettre dans un tiroir de son bureau.
Mère
sup :
Voilà de bonnes nouvelles ! Que la réussite de votre amie vous
serve d'exemple. Soyez aimable et obéissante comme elle et peut-être
qu'un jour des gens de bien vous adopteront aussi.
La nuit
venue, Marie s'introduit dans le bureau désert,
Tire du
tiroir la lettre de Lisa et la chauffe à la flamme d'une
allumette.
Alors, dans les larges interlignes, la chaleur
révèle un message écrit au jus de citron :
« Marie,
au secours ! »
p.39
Hallucinée,
marie lit le message secret.
« Le comte Zaroff me terrifie.
J'ai surpris son regard : des yeux de fauve qui guette sa proie.
Impossible de m'échapper, j'ai tout essayé. Je t'en supplie, viens
à mon secours ! »
Marie :
Demain, c'est vendredi. La comtesse de Saint-Fleury vient consulter
son confesseur.
Le lendemain, la comtesse descend de sa
calèche dans la cour de l'orphelinat, accueillie avec empressement
par le fringant curé. Embusquée derrière le préau, Marie
guette.
D'un rapide coup d'oeil par la fenêtre de la
sacristie, elle s'assure que la dame est bien occupée à se faire
culbuter par son confesseur,
S'assure alentour que personne ne
la voit, puis se dissimule dans le coffre arrière de la calèche.
La
nuit est tombée. Sous une pluie fine, la calèche cahote sur un
chemin bordé d'arbres. Marie saute du coffre.
Marie :
Libre ! Enfin, libre !
Marie :
Mais d'abord, sauver Lisa !
p.40
Au
matin, Marie, grelottante, arrive au lieu décrit dans la lettre de
Lisa.
Marie :
« Il habite un grand château au toit de tuiles vertes, au
milieu d'un vaste parc entouré de hauts murs »
A cet
instant, une Panhard & Levassor flambant neuve surgit derrière
elle, quittant la route pour entrer dans la propriété. Le comte,
assis derrière le chauffeur, interpelle Marie.
Le
comte :
Tu cherches quelque chose, petite ?
Marie :
Je... Je suis perdue, Monsieur. Et j'ai faim.
D'un geste, le
comte invite Marie à monter, tandis qu'un garde-chasse ouvre le
portail.
Le
comte :
Viens au château. La cuisinière te donnera une bonne tartine.
Marie
pense : « Il est si riche qu'il vient d'acheter une
automobile »
L'auto roule sur l'allée de graviers.
Par-dessus son épaule, Marie voit le garde-chasse refermer le
portail et évalue la hauteur des murs.
Marie
pense : « Impossible de m'échapper, j'ai tout essayé »
A
l'office, Marie dévore une tartine sous l'oeil de la cuisinière.
La
cuisinière :
D'où viens-tu, petite ? Je ne t'ai jamais vue par ici.
Marie :
Euh... J'ai perdu mes parents et je vais chez une tante.
Le
comte apparaît sur le seuil, son visage rayonnant d'un sourire
sardonique.
Le
comte :
Hé bien si tu veux, tu dormiras ici cette nuit. Après un bon bain
et avec des habits propres, tu seras en pleine forme pour reprendre
ton voyage demain.
p.41
Nue,
debout dans un grand baquet, couverte de mousse, Marie reçoit la
douche que lui prodigue la cuisinière à l'aide d'un seau chaffé
près de l'âtre.
Marie :
Je cherche une amie de mon âge qui vit dans la région.
La
cuisinière
se rembrunit : Connais pas.
L'oeil rivé à un judas
dissimulé, le comte lisse sa moustache en contemplant le
spectacle.
Le
comte :
ça alors ? C'est la fameuse amie dont parlait Lisa ?
Quelle chance !
Marie a revêtu une splendide robe
''petite fille modèle''. Le comte la fait entrer dans une luxueuse
chambre d'enfants. Sur l'oreiller, repose une magnifique poupée de
porcelaine en crinoline verte.
Le
comte :
Voici ta chambre Marie, dors bien !
Marie :
M... Merci Monsieur.
Le cabinet de travail du comte. Bureau
chargé de dossiers où trônent des maquettes d'armes de guerre :
canon de campagne, mitrailleuse Vickers, sous-marin. Aux murs sont
épinglés des plans de ces mêmes armes, ainsi qu'un grand
planisphère piqué de drapeaux localisant les conflits.
Là, le
comte a rassemblé son personnel : chauffeur, cuisinière, femme
de chambre, garde-chasses, majordome, et leur distribue des billets.
Les domestiques, l'ai sombre, prennent l'argent en baissant la
tête.
Le
comte,
d'un ton glacial et sans réplique : Vous avez tous congé
jusqu'à après-demain. Et pas un mot à quiconque, comme
d'habitude !
Dans sa chambre, Marie s'agenouille et
soulève les volants de la courtepointe pour regarder sous le lit,
par réflexe.
Marie :
Comment sait-il que je m'appelle Marie ? Je ne l'ai dit à
personne ici.
Stupéfaction : sous le lit, elle découvre
la médaille des Broutignol.
p.42
La
nuit est venue. Marie a quitté sa chambre et explore le château
avec mille précautions.
Elle pénètre dans le cabinet de
travail du comte. La bibliothèque a pivoté, dévoilant une porte
dissimulée et les premiers degrés d'un escalier qui mène au
sous-sol.
Marie descend prudemment l'escalier de pierre. Dans
une crypte aux voûtes sinistres, une lumière attire son
attention.
Elle débouche dans une véritable salle de
tortures et hurle de terreur : au premier plan, nous ne voyons
qu'un bras pendant maculé de sang séché. Sa position fait
comprendre que le corps est pendu par les pieds.
Le comte
surgit derrière Marie et referme son bras autour de son cou, un
sourire sadique éclairant son visage.
Le
comte :
Tu as retrouvé ton amie, Marie ? Vilaine petite curieuse !
Je vais devoir te punir...
p.43
Marie
mord jusqu'au sang a main du comte, qui lâche prise en
criant.
Marie grimpe l'escalier quatre à quatre, les yeux
fous de terreur.
Marie :
« Impossible de m'échapper, j'ai tout essayé »
Elle
s'est enfuie dans le parc. Le comte la poursuit, tenant en laisse
deux énormes dogues
Le
comte :
Pas par là ! Les marais t'engloutieront ! Reviens !
L'aube commence à poindre. Marie s'engage dans le marais
plein de brouillard et commence à patauger.
Soudain, elle est
aspirée par le marécage, déjà jusqu'à la taille.
Marie :
Mon Dieu, Non !!!
Le comte parvient au bord du marécage.
Il considère, amer, le chapeau de marie qui flotte entre les
roseaux.
Le
comte :
Adieu petite sotte, tu m'as frustré de bien délicieux plaisirs.
p.44
Un
braconnier patauge dans le marécage, reprend pied sur la terre
ferme. Il porte dans ses bras Marie à bout de forces, vêtements
collés de boue.
Le
braconnier :
Tu as beaucoup de chance petite, si je n'étais pas venu relever mes
nasses avant le Garde-Pêche...
Il recouvre de sa veste les
épaules de Marie.
Le
braconnier :
Tu ne peux pas rester comme ça. Viens jusqu'au bourg voisin, le
patron de la ''Bague d'Or'' est un poteau.
Marie et le
braconnier arrivent sur la place de l'église et s'apprêtent à
entrer dans le bistro. Mais une effervescence inquiétante règne
là : d'un côté de la place, un bataillon de soldats attend,
l'arme au pied. De l'autre, une foule d'hommes, de femmes et
d'enfants est rassemblée.
Le
braconnier :
Que se passe-t-il ?
Un
homme :
A l'occasion du 1er Mai, les grévistes de la ''Sans Pareille''
réclament de meilleures conditions de travail.
Dans le
bistro, tandis que Marie, une couverture sur les épaules, est
réconfortée d'un bol de soupe, le patron, le braconnier et d'autres
clients observent par la fenêtre le remue-ménage sur la place.
Le
patron :
Les patrons ont fait venir la Troupe. Je n'aime pas ça !
Le
braconnier :
T'as vu leurs fusils ? Jamais vu ce modèle, pourtant je m'y
connais.
Sur la place, derrière le bataillon des
''lignards'', le préfet ceint de tricolore donne ses ordres au
capitaine.
Le
préfet :
Excellente occasion de tester le nouveau fusil Lebel, Capitaine.
Dispersez-moi cette racaille !
Le
capitaine :
A vos ordres, Monsieur le Préfet.
p.45
Le
capitaine crie un ordre. Les fusils tirent. Hommes, femmes et enfants
tombent devant l'église. Au centre de la place, le curé supplie en
vain les soldats.
Les balles frappent jusque dans le bistro.
Un garçonnet est tué sous les yeux de Marie qui se lève d'un bond
en renversant sa chaise. Derrière elle, la porte de la cour
entr'ouverte suggère une fuite possible.
Marie court à
perdre haleine à travers champs.
A bout de forces, elle
s'écroule sur le sol, à l'orée d'un bois et sanglotte.
Marie :
Dieu tout-puissant ! Quelle cruauté. Comment
peuvent-ils ?...
Paolo, Corinne et Sandor jaillissent de
leur cirque, armés d'un fusil, d'un filet, d'un trident.
Corinne :
Pauvre Freddy, elle l'a proprement déchiqueté.
Paolo :
Sale bête ! Elle est folle furieuse. Il faut la retrouver avant
qu'elle ne fasse d'autres victimes !
p.46
Débouchant
dans la clairière, Paolo, Corinne et Sandor découvrent, stupéfaits,
Marie assise sur l'herbe, câlinant la panthère entre ses
bras.
Marie,
à la panthère : Toi, tu n'es pas comme eux. Reste avec moi, je
t'aime !
Voyant les circassiens armés approcher, Marie
protège la panthère.
Marie :
Je vous en supplie, ne lui faites pas de mal !
Paolo,
stupéfait : C'est incroyable !
Paolo :
Elle... Tu... Tu n'as pas peur ? Tu pourrais t'occuper de ce
fauve ?
Marie,
rayonnante : Vous voulez bien ? Je peux ? Oh, merci
Monsieur !
Plus tard, au cirque, Paolo et Corinne
observent Marie qui cajole les panthères dans leur cage.
Paolo :
Hé bien Corinne chérie, notre dompteur défunt est bien
remplacé.
Corinne :
Il faut un nom de scène à cette gamine. Si nous l'appelions
Félina ?
Prochain
épisode
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